Rencontre Archibald de la Villejégu - Etzel Calpunien

Depuis l'annonce des résultats et la garantie que l'Union des modérés était arrivée en tête des élections sénatoriales, il flottait dans le siège du parti une atmosphère particulière. Le soulagement et la joie étaient présents mais désormais, les salons étaient vides et tout le monde semblait calme. Etzel Calpunien regrettait presque les semaines passées, quand l'hôtel particulier ressemblait à une fourmilière en pleine activité. Mais désormais il était temps de songer à l'avenir plutôt que de se morfondre des souvenirs passés.

Pour autant, il y avait un souvenir de la campagne que le Président de l'Unimod avait du mal à digérer et qui risquait de faire des vagues, aussi bien au niveau de la qualité du travail et des rapports entre Grands Dignitaires que d'un point de vue politique. Le premier entretien d'Archibald de La Villejégu au Dégel avait provoqué un tournant malheureux dans campagne électorale, faisant passer le parti modéré pour un parti socialiste et républicain. Affront lavé au vu des résultats et la droitisation du débat avait valu un terrible revers au Parti impérial.

Sachant qu'il devait jouer son rôle de modérateur, Etzel prit la plume pour inviter Archibald à le rencontrer. Bien évidemment, cela se ferait avec discrétion et autour d'un excellent repas.

De Son Excellence Etzel Calpunien de Varsalance À Son Excellence Archibald de La Villejégu Archibald, Ces élections sénatoriales étant désormais derrière nous, je pense que nous voir au plus tôt permettrait de mettre de côté certains propos et de nous entendre sur les actes. Les échanges malheureux qui ont émaillé la campagne électorale risquent de laisser des séquelles et je m'en sentirais personnellement responsable si je ne faisais rien pour guérir cela. En tant que Grands Dignitaires et présidents de partis, il est de notre devoir de nous entendre et de discuter afin d'afficher l'unité voulue par Sa Majesté l'Empereur. L'Empire de Belondor doit pouvoir compter sur des gouvernants forts et unis, qui ne se laissent pas aller à quelques propos désobligeants et de jugements de valeur sur leurs propres collègues. J'aimerais ainsi que nous nous rencontrions pour discuter autour d'un excellent repas, qui sera bien sûr accompagné des meilleures bouteilles de ma cave. Si la date du 11 Antonine vous sied, nous pourrions nous retrouver à compter de dix-neuf heures chez moi. Il aurait été possible de nous retrouver au Palais mais je préfère que cela se fasse en-dehors des murs de notre Administration et des sphères du pouvoir ; le cadre plus intimiste sera tout à fait en phase avec le but de la rencontre. Soyez assuré de ma plus profonde et sincère amitié, EC

Le Rasscon, ainsi qu'on appelait familièrement le Rassemblement conservateur, était parenu à conserver exactement le même nombre de sénateurs qu'aux élections de 2713 : soixante-deux. Certes, il n'était plus la première formation politique de l'Empire – on détestait le terme « parti » parmi les conservateurs qui faisait trop libéral et social, trop républicain et parlementariste – mais il n'en demeurait pas moins qu'avec les sénateurs nommés il y avait de forte chance pour qu'il reste d'une courte tête la première force au Sénat. C'était déjà ça.

La campagne avait été des plus violentes et difficiles. À partir du moment où Le Patriote avait publié un article très virulent envers le Partim et le Rasscon considérant qu'ils représentaient le camp des rétrogrades, des archaïques et des réactionnaires. Mais le temps était venu de passer l'éponge. Le marquis de Balincourt prit alors la plume pour répondre à la lettre que lui avait envoyé le duc de Varsalance :

Citation :

De son Excellence Archibald de La Villejégu,

À son Excellence Etzel Calpunien de Varsalance

Monsieur Calpunien de Varsalance,

Comme vous l'avez très justement signalé les élections sénatoriales sont derrière nous. Les grands dignitaires que nous sommes ont certainement manqué de dignité durant la campagne passée. Mais quoi ! Il est temps de tirer un trait sur ce qui a pu nous diviser durant ces dernières semaines afin de nous tenir à la disposition de Sa Majesté. Nous devrons être les plus loyaux et fidèles serviteurs de notre Empereur dans les mois et les années qui viennent afin de lui permettre d'accomplir tous ses projets et de disposer d'une nation unie.

C'est donc avec plaisir que j'accepte votre invitation. Mon majordome entrera en relation avec le vôtre pour s'occuper des formalités. Quant à moi, j'arrive à l'heure dite du jour dit.


Soyez certain de la haute estime en laquelle je vous porte,

Archibald de La Villejégu

Comme convenu, les échanges entre les maîtres de maison permirent de dresser tant un menu qui sied à chacun, qu'une organisation qui corresponde aux deux emplois du temps pour offrir la soirée du 11 Antonine de libre aux Grands Dignitaires. Etzel était rentré plus tôt du Palais Ceronine II expressément pour pouvoir revêtir un autre costume et honorer cette rencontre comme cela devait l'être. Il arborait à la boutonnière de son costume la marque de sa décoration parmi les grands de l'Empire et finissait même par oublier que sa veste était ainsi parée.

Loin de rechercher le faste et d'impression son invité, le Duc de Varsalance espérait que le Marquis de Balincourt accepte ses excuses et qu'ils préparent tous deux la construction de l'Empire de demain, afin de permettre à leurs partis d'assister utilement Sa Majesté l'Empereur dans sa pénible tâche. L'Union des modérés savait bien qu'il n'était pas question pour elle de servir de force d'opposition mais elle espérait ouvrir des brèches nouvelles dans le fleuve sur lequel voguait le Gouvernement impérial.

Fondamentalement, Etzel n'attendait rien de ce dîner. Il espérait simplement pouvoir passer une soirée agréable et esquisser, avec l'un des hommes pour qui il avait une sincère admiration, des projets assez fabuleux pour convenir à l'Empire.

Le maréchal d'Empire arriva à l'heure dite au rendez-vous pour ce dîner entre les deux principaux personnages de l'Etat après Sa Majesté l'Empereur. Après tout, dans l'ordre protocolaire des grands dignitaires, l'Archichancelier de l'Empire était le premier et le Connétable de l'Empire le second. Les deux hommes étaient chacun les chefs de deux formations politiques, l'un des modérés, l'autre des conservateurs. Ceux-ci avaient mené une campagne de tous les instants et parfois très violente. Mais le temps de la réconciliation était venu. Il n'était d'ailleurs pas certain qu'ils ne se furent jamais fâché... Le marquis de Balincourt arrivant, il fut accueilli chaleureusement parce celui qui avait la haute main sur l'administration, la police et la justice :

- Cher ami, merci de cette invitation, dit Archibald. Je ne sais ce qui nous est arrivé pendant cette campagne, mais il semblerait que nous ayons perdu la tête. Nous sommes tous devenus fous, moi le premier.

Il marqua un instant le silence, avant de reprendre, l'air grave :

- J'espère que vous ne m'en tiendrez pas rigueur et que vous saurez passer l'éponge sur ce moment. Je vous présente mes excuses. Après tout, nous sommes tous au service de Sa Majesté pour la plus grande gloire de l'Empire, n'est-ce pas ?

L'Archichancelier de l'Empire, dans la bonhomie qu'on lui connaissait en privé, vint accueillir le Connétable de l'Empire jusque sur le péron de son hôtel particulier. Le fiacre, arrêté dans la cour intérieure l'avait interpellé alors que la double porte à battants s'était ouverte pour y laisser entrer le véhicule hippomobile. La poignée de main, aussi chaleureuse que le sourire des deux hommes, marqua ces retrouvailles sous les meilleures auspices.

" Comment pourrais-je vous tenir rigueur de quoi que ce soit alors que mes propres mots sont allés plus loin que ma pensée ? S'il y a bien des excuses à formuler, ce sont les miennes et non les vôtres. Vous l'avez dit vous-même, cette campagne nous a, à tous, fait perdre la tête... Certains ne l'ont toujours pas retrouvée par ailleurs. "

Sans aller plus loin dans sa réflexion, il parlait inévitablement du Parti impérial qui avait concentré toutes ses attaques contre sa formation politique. Mais comme à chaque fois qu'un vainqueur parlait d'un vaincu, il ne semblait presque plus offensé des coups-bas qui avaient pu être portés quelques instants auparavant. Conviant son inviter à entrer dans le hall, ils traversèrent plusieurs salons avant de déboucher de l'autre côté de la demeure, dans une pièce qui tenait lieu de salle de réception. Le couvert avait été agencé de sorte que les deux hommes soient face à face mais guère éloignés l'un de l'autre, la vaste table qui était d'ordinaire utilisée pour le service ayant été échangée avec une table rectangulaire bien plus petite en acajou. Une nappe blanche brodée de fils d'or et d'argent la recouvrait partiellement, laissant ses pieds dévoiler le style Nabelnine I^er. Comme il était d'usage dans la maisonnée, un petit menu était destiné aux convives ; à la place du Connétable on pouvait donc y lire : Darnes de saumon glacées elbêröhnitoise ; Filet de bœuf en Bellevue ; Pains de canetons de Rex-Civit ; Poulardes de Terreforeste rôties ; Ballotines de faisans Saint-Louin ; Glaces ; Dessert.

Avant de s'installer, Etzel alla lui-même chercher une carafe à décanter qui trônait sur une desserte. Le vin qu'il avait choisi était un Château Brillon 2664, vin eslagnais de l'année de naissance du Connétable ; on le disait rond et fruité en bouche mais avec du caractère qui conviendrait parfaitement avec les viandes servies.

Pour sûr, ce repas permettrait de solder une fois pour toute le précédent de la campagne sénatoriale et de préparer les prochains dossiers sur lesquels les Grands Dignitaires seraient amenés à travailler conjointement.