Séance du 8 Antonine 2715

Le Palais impérial était devenu un vrai nids de vipères durant la campagne électorale. En effet, tous les fonctionnaires et membres des cabinets des grands dignitaires s'étaient méfiés les uns des autres, travaillant tous pour l'un ou l'autre dans le cadre des élections sénatoriales qui s'étaient conclu par le vote des 6 et 7 Antonine. Ces derniers semblaient s'être menés une guerre sans merci. Coups bas, rumeurs et trahisons s'étaient alors multipliées. Plus d'un haut-fonctionnaire avait travaillé au service d'un grand dignitaire tout en espérant secrètement la victoire d'une autre formation politique que celle de son supérieur. L'épisode du secret d'État concernant la Nouvelle-Argentorate transmis au au Patriote et heureusement intercepté par le ministère de la Police générale avant qu'il ne soit révélé l'avait d'ailleurs particulièrement mis en exergue.

Sa Majesté n'en avait été que raffermie dans l'idée que le Belondor devait être guidé d'une main de fer par un souverain se situant au-delà des contingences, au-dessus des clivages partisans, par delà la volonté des hommes en étant choisi par Dieu, incarnant la Nation, l'État, l'Empire tout entier plutôt qu'une seule de leurs composantes. C'était cela qui légitimait son droit à gouverner. Cela avait inquiété l'Empereur qui avait exigé du Connétable de l'Empire qu'il intervienne dans Le Dégel afin de calmer le jeu et de l'Archichancelier de l'Empire qu'il invite ce dernier une fois les élections passées. Aujourd'hui, les élections étaient terminées. Leurs résultats n'étaient pas encore parfaitement connus mais on s'avançait vers un déclin des ultras et une poussée des modérés, tandis que les conservateurs restaient stables. En ce Primodine 8 Antonine 2715, l'Empereur avait donc enfin convoqué les membres du Conseil d'État. Deux sujets étaient plus particulièrement à l'ordre du jour... Entrant dans la pièce, un peu plus d'une vingtaine de personnes se levèrent pour saluer le souverain comme le voulait le protocole. Le gouverneur de la Banque impériale, Henri-Maxime de Porhoët, avait été invité à titre exceptionnel. S'asseyant, l'Empereur fit signe aux membres du Conseil d'État – qu'il s'agisse des cinq grands dignitaires, des quinze juristes professionnels ou des six haut-fonctionnaires « émérites » nommés pour cinq ans – de s'asseoir :

- Excellences, messieurs. Nous sommes ici afin d'obtenir votre loyal avis sur deux projets récents de nature primordiale pour l'Empire, à savoir l'examen d'un rapport de la commission d'étude interne sur la politique monétaire de Belondor qui fait partie du ministère du Trésor et qui recommande le passage à l'étalon-or de notre monnaie, le sesterce. Il sera aussi question d'examiner un texte concocté par le ministère des Affaires étrangères et dénommé « Acte confédéral du Sud-Centuryon ».

Tous étaient attentifs et silencieux. Sa Majesté poursuivit donc, regardant celui qui avait la haute main sur les ministères économiques et financiers de l'Empire :

- Excellence Nerym, à vous la parole.

Dès les premières phrases de l'exposé de l'Architésorier de l'Empire, Henri-Maxime s'était mis à l'écouter de façon quasi-dévote, prenant sa plume pour y gratter une feuille de papier jaunâtre. Il avait été invité à siéger parmi les membres du Conseil d'Etat et redécouvrait toujours avec autant de plaisir le Salon Amezzianel I^er, du nom de l'Empereur qui avait compté parmi ses ministres l'un de ses aïeux, Grenel-Charles de Porhoët, qui avait fait sienne la profession d'avocat. Contrairement au reste de sa famille -- qui demeurait royaliste sinon très réservée à l'égard du régime impérial -- HMDP avait une profonde estime pour les Temararien. Même pour Antonine I^er, qui avait pourtant toujours été considéré comme à l'origine de la condamnation puis de l'exécution de Ceronine-Loïtien de Porhoët, 6^e comte de Mavelles et qui avait pris fait et cause pour des époux innocents condamnés du meurtre de leur fille handicapée à la peine du puits. Pour le Gouverneur de la Banque impériale il ne s'agissait que de lointaines histoires de famille et il estimait sa situation professionnelle bien plus importante que ces considérations tombées dans l'oubli.

Lorsqu'il sentait un regard posé sur lui, Henri-Maxime acquiesçait au discours de l'Architrésorier, comme s'il devait lui donner son assentiment pour avoir plus de crédibilité au yeux des juristes entourant Nabelnine II. D'ailleurs, lui aussi avait toute la considération d'Henri-Maxime même s'il savait que le jeune souverain ne faisait pas l'unanimité parmi ses Grands Dignitaires qui le trouvaient insolent, secret et dominateur. Après tout, ne remplissait-il pas sa mission de monarque absolu ? Allons donc ! Voilà que l'on se plaignait d'avoir un Empereur avec de la stature et qui savait régner comme les plus grands en ayant à peine vingt ans.

A la fin de l'exposé de Son Excellence Nerym, et constatant que parmi les juristes, la consigne était de resté muet, Henri-Maxime sauta sur l'occasion. Il réclama la parole à l'Empereur qui présidait la séance, puis intervint, non sans habilement se satisfaire de la situation.

Majesté, Excellences, Messieurs les conseillers, en ma qualité de Gouverneur de la Banque impériale, j'ai étudié le rapport d'étude du ministère du Trésor rendu le 5 Antonine dernier à Sa Majesté l'Empereur avec gravité. La question de l'indexation du sesterce sur l'or s'était posée il y a fort longtemps, sans que jamais un rapport ne soit produit ni transmis, en vue d'en débattre par la suite ici même.

Je me suis moi-même étonné que la chose ne soit pas débattue plus tôt, l'Empire de Belondor étant une grande, sinon la plus grande, Nation de l'Archipel et devant s'assurer d'une économie puissante et pérenne. Mais le contexte, tant sous le règne feu Sa Majesté Nabelnine I^er que jusqu'à présent avec les guerres, n'était pas favorable à une telle évolution.
Pourtant, la Banque impériale savait que tôt ou tard la situation irait en s'améliorant et j'ai chargé de fidèles collaborateurs de rapatrier tout l'or de l'Empire à Elbêröhnit ; avec la récupération des fortunes des anciennes familles régnantes de Germanie ainsi que des ressources en or de leurs Etats, nous disposons aujourd'hui nous permet de disposer d'une quantité d'or à la hauteur de notre Empire.

Si mon avis de Gouverneur de la Banque impériale peut donc avoir une quelconque valeur aujourd'hui pour vos savants esprits, je me permettrais de vous dire qu'il me semble plus qu'important de pouvoir désormais poser l'avenir de l'économie belondaure, d'autant que l'Empire va être amené à resserrer ses liens économiques avec d'autres puissances micromondiales.

Je me permettrai toutefois de formuler une proposition à ce noble Conseil. Dans le rapport d'étude du ministère du Trésor, Son Excellence l'Architrésorier propose la revalorisation d'un sesterce à 0,55 g d'or, contre 0,37 g actuellement. Dans un souci d'harmonie et de simplification, je pense qu'amener le sesterce à 0,50 g d'or serait un parfait compromis entre sa revalorisation et des questions d'arithmétique et d'algèbre.

Depuis les élections sénatoriales, c’était la première fois que les Grands Dignitaires se retrouvaient tous réunis autour de l’Empereur. Lorsqu’il était arrivé, accompagné d’Henri-Maxime de Porhoët, Gouverneur de la Banque impériale et secrétaire du parti de l’Union des modérés, Son Excellence Etzel Calpunien de Varsalance n’avait pu s’empêcher de toiser du regard le Grand-Electeur à l’origine des débordements dans la Préfetcure de Veledris lors de la campagne électorale. Arrivé non loin de lui, il s’était brusquement arrêté, le regardant pendant plusieurs secondes de haut en bas avec un dédain à peine dissimulé avant d’aller à sa rencontre et de le gratifier d’un simple Excellence Batignoles. Il avait ensuite tourné les talons pour rallier le salon Amezzianel I^er, ne comptant pas s’appesantir en mauvaise compagnie.

Installé dans le fauteuil qui lui était dévolu depuis de nombreuses années, il avait pris grand soin d’être placé entre l’Architrésorier et le Connétable de l’Empire, gardant éloigné celui qu’il appelait en coulisses le coquin. Mais outre cette détestation profonde, presque infantile, c’était sûrement plus sa venue à cette séance du Conseil d’Etat qui l’agaçait. L’Archichancelier de l’Empire portait bien son nom d’Archipolicier ; les affaires qui l’occupaient principalement étaient liées à la sûreté intérieure et à la justice et non à l’économie et aux finances. Dès lors, il demeurait comme les autres conseillers d’Etat, un juriste éminent mais un piètre économiste sinon fonctionnaire de l’administration du Trésor. Avec le temps il s’était forgé de solides bases mais elles demeuraient toujours pour lui insuffisantes eu égard à l’importance des questions présentées ici même. Il relativisa toutefois en se disant que Nabelnine II avait dû apprendre sur le tas, suite à son annexion au trône, et qu’il ne déméritait pas pour autant, bien au contraire !

Dès lors, Etzel avait écouté l’exposé de l’Architrésorier dans sa réserve habituelle et avait haussé un sourcil lors de l’intervention du Gouverneur de la Banque impériale. Ce qu’il détestait le plus était ces arbitrages de valeurs ; un taux haut pouvait intéresser certains tandis qu’un taux plus bas pouvait en intéresser d’autres et au final il n’était plus question que d’une bataille de chiffres qui ne trouvaient de solution que dans l’intervention de Sa Majesté l’Empereur. Ne voulant pas se mouiller, Etzel resta la bouche close, attendant que quelqu’un ne daigne prendre la parole pour rendre les choses plus vivantes sinon plus abordables d’un point de vue juridique.

Le conseiller Valenténine Selouzès, juriste de formation, écoutait dans une sage réflexion les propos de l'Architrésorier et du Gouverneur de la Banque impériale. Il voyait bien la gêne de ses collègues alors même que le sujet était d'une importance cruciale à bien des niveaux. Alors que Son Excellence Nerym venait d'achever son exposé, le conseiller demanda la parole au président du Conseil qui n'était autre que l'Empereur lui-même.

" Majesté, Excellences, Monsieur, chers collègues. Je tiens tout d'abord à vous remercier pour ces explications permettant de nous faire une meilleure opinion de l'utilité de l'étalon-or comme base de notre monnaie. A titre personnel, je suis favorable à votre proposition et suis votre recommandation d'établir le sesterce à zéro-cinquante grammes d'or.

Je m'interroge toutefois sur l'aspect pratique de la réévaluation de la monnaie. J'entends et partage votre souhait conférer au sesterce une base précise mais comment cela va-t-il se passer ? Faudra-t-il échanger les liquidités en vigueur contre de nouvelles pièces et billets ? Combien de temps cela prendra-t-il ? Car il faut éviter à tout prix que des opérations bancaires trop complexes nuisent au commerce.

Je vous remercie de vos précisions, Votre Excellence et Monsieur le Gouverneur. "

Henri-Maxime n'osait couper l'herbe sour le pied de l'Architrésorier, à l'origine de cette proposition. D'un geste de la main, il lui indiquât qu'il lui laissait prendre la parole. Le cas échéant, il interviendrait en tant que Gouverneur de la Banque impériale pour venir préciser les choses.

Le conseiller Etolnine de Luc d'Arthène était un vieil homme érudit mais bourru qui s'acclimatait mal aux discussions du Salon Amezzianel I^er en dehors des séances ouvertes. Son complet trois pièces dénotait en fraicheur avec les costumes de ses collègues, sans pour autant qu'il n'y prête à la moindre attention. Le vieil aristocrate n'était pas riche a contrario de ses voisins de table même s'il vivait bien de la rente qu'il percevait en raison de ses services et des mérites dont il était auréolé. Pour autant, il avait la faculté d'avoir une connaissance diffuse dans toutes les matières, lui qui passait son temps à lire et à s'instruire.

Alors, quand parut le spectre d'une réévaluation de la monnaie, ses épais sourcils se froncèrent en une singulière expression, tandis que son front d'ordinaire marqué par les pliures rideuses de l'âge s'effaçaient quelque peu. Son collègue, le conseiller Valenténine Selouzès, avait soulevé une question des plus intéressantes et la réponse apportée par l'Architrésorier de l'Empire ne semblait pas satisfaire monsieur de Luc d'Arthène.

Voyant bien là l'opportunité pour lui de justifier de son traitement, il prit la parole, d'une voix profonde et rauque, comme si l'un de ces monstres dont on parle dans les contes pour enfants avait soudainement pris possession du conseiller.

– Votre Majesté, Vos Excellences, Monsieur le Gouverneur, Messieurs, Chers collègues. Excellence Nerym, vous défendez l'idée d'une réévaluation du sesterce de zéro-trente-sept grammes d'or à à zéro-cinquante ou zéro-cinquante-cinq grammes d'or. En quoi tient la justification d'une si soudaine réévaluation du grammage de l'étalon-or ? Veuillez pardonner ma façon peu cavalière, le conseilleur eut alors un sursaut comprenant subitement qu'il était victime de son propre jeu de mots, de vous poser une question rhétorique mais il me semble qu'une telle augmentation du sesterce n'apparaît pas comme économiquement nécessaire.

Notre monnaie va être difficilement supportable si sa valeur croît de trente-cinq pour cent. Si je vous suis, et arrêtez-moi s'il y a une erreur, nous disposerions de deux mille sesterces par kilo d'or, soit si l'on admet nos réserves à vingt-deux mille tonnes... quarante-quatre milliards de sesterces! Avec un revenu national à un peu moins de cinquante milliards si mes chiffres sont bons, cela va limiter considérablement notre croissance.

Au fond, s'il n'est question que d'effigie, sûrement gagnerions-nous à se limiter à battre notre monnaie à zéro-trente-sept gramme d'or le sesterce en apposant le profil de Sa Majesté sur l'obvers des pièces et billets.

Mais peut-être la Banque impériale ou l'Architrésorie ont-elles un moyen d'accroître un peu plus nos réserves en or d'ici la prochaine décennie.

Le vieil homme à la face de hibou se tut soudainement, laissant désormais tout le loisir de la réponse aux intéressés, pourvu qu'il ne les ait pas glacés d'embarras.

L'émérite Etolnine de Luc d'Arthène sentait bien les contours glissants de l'énoncé de l'Architrésorier de l'Empire. A l'écoute de son argumentaire, le conseiller hochait la tête pour dire qu'il comprenait, ou du moins, qu'il voyait là où cherchait à les conduire la Grande Dignité. S'entendant faire dire qu'il supposait que l'on fournirait des pièces d'or, le vieil homme voulut réparer l'erreur commise très maladroitement par Son Excellence Nerym.

– Veuillez pardonner ma nouvelle prise de parole mais je tiens à rectifier une chose. Je ne pense pas avoir dit un seul instant que nous allions fondre des milliers de tonnes d'or pour en faire de petites pièces. Si d'autres personnes que Son Excellence l'Architrésorier ont entendu mon intervention en ce sens, je vous prie de bien vouloir m'en excuser. Il avait les mi-clos sous ses lourdes paupières, comme si ses épais sourcils abaissaient de leur poids une peau vieillie par l'âge et les nombreuses lectures à la lueur d'une bougie. Je conviens parfaitement avec vous que ces pièces sont d'un autre alliage, le problème ne réside pas là. La véritable question qui se pose est la valeur conférée à ces pièces d'or. Si l'on estime que sa valeur dépend d'un certain grammage en or, nous ne pouvons avoir plus de pièces en circulation que de monnaie, auquel cas cet étalon n'en porterait que l'apparat.

Ce qu'il faut bien saisir c'est que pour vingt-deux mille tonnes d'or, nous avons quarante-quatre milliards de sesterces basées sur un grammage à zéro-cinquante et près de soixante avec un gramme à zéro-trente-sept. En conséquence, plus l'étalon-or sera faible et plus les liquidités seront importantes. D'autant que le cours de la monnaie ne dépendant effectivement que des réserves dont nous disposons, je doute que sa fluctuation soit aussi importante que le cours de la bourse de ces dernières semaines.

Mais dans l'hypothèse où j'aurais pris un mauvais chemin, je prie vos inestimables lumières de m'aider à retrouver ma route et de vous suivre vers la raison.

Bien trop âgé pour chercher à se vanter et à bâtir une réputation dont il se moquait éperdument, le conseiller d'Etat intervenait avec cette franchise et cette détermination qu'ont les gens plein de sciences qui pensent de fait tout savoir. S'il n'était pas de mauvaise foi, il aurait toutefois beaucoup de mal à reconnaître s'être trompé si les explications apportées n'étaient pas aussi claires et logiques que l'eau de la carafe posée devant lui.

Sa Majesté avait attentivement écouté les débats sans jamais s'exprimer, comme à son habitude. L'Empereur ne débattait pas, il décidait. Il n'était pas parmi la multitude, il était au-dessus. Il ne faisait pas partie du peuple, il était son guide. Levant la main pour empêcher toute reprise du débat, il obtint le silence. Les visages étaient désormais tournés vers lui et tous étaient suspendus à sa décision :

- Nous vous remercions pour votre loyal avis. L'exposé de son Excellence l'Architrésorier de l'Empire nous apparaît convainquant. Nous vous chargeons, monsieur Nerym, de rédiger un texte nous permettant juridiquement d'engager cette réforme sous huitaine, afin que vous nous le présentiez.

La discussion sur le passage à l'étalon-or étant close, il se tourna vers le Connétable de l'Empire et d'un geste de la main lui indiqua qu'il lui revenait désormais de s'exprimer.

Il revenait désormais au Connétable de l'Empire de s'exprimer sur l'Acte confédéral du Sud-Centuryon que ses services avaient préparé depuis plusieurs mois, en collaboration avec le ministère des Affaires étrangères dont ils avaient la tutelle :

- Je vous remercie, Votre Majesté. Sire, Excellences, messieurs les conseillers, le texte que les huissiers sont en train de vous transmettre est le dénommé « Acte confédéral du Sud-Centuryon ». Il s'agit de légaliser la situation de protectorat dans laquelle nous nous trouvons en Sud-Centuryon, suite à notre intervention conjointe avec le Saint-Empire d'Edoran pour mettre à la raison les bellicistes de la Ligue centuryonnaise. Comme vous l'aurez compris, il s'agit d'une structure confédérale entre différentes cités centuryonnaises et leurs dépendances. L'objectif est simple : diviser pour mieux régner. Le meilleure moyen d'éviter un retour du nationalisme centuryonnais est de jouer sur les aspects identitaires locaux en faisant des cités les véritables détenteurs de la souveraineté, ne se réunissant que périodiquement une fois l'an et n'ayant qu'une représentation de court terme, Sa Majesté étant le protecteur de l'ensemble et donc le véritable arbitre des institutions.

Acte confédéral du Sud-Centuryon a écrit:

NOUS, Sa Majesté impériale NABELNINE II, par la grâce de Dieu, Sa Majesté Très-Syiste, Empereur de Belondor, Protecteur de Nouvelle-Argentorate, etc., aux CENTURYONNAIS.

Le Centuryon, en proie aux dissensions, était menacée de sa dissolution : il ne pouvait trouver en lui-même les moyens de se reconstituer, sinon par une attitude belligène mettant en péril la paix et stabilité du Continent Nord. C'est pourquoi l'Empire de Belondor et le Saint-Empire d'Edoran, devançant le vœu du peuple centuryonnais tout entier, se sont fait un devoir d'interposer leur médiation entre les partis qui le divisent.

L'Empire de Belondor et le Saint-Empire d'Edoran ayant pacifié chacun une partie déterminée du Centuryon, respectivement appelée Sud-Centuryon pour le premier et Nord-Centuryon pour le second, se reconnaissent ainsi la responsabilité d'offrir à ces deux zones de nouvelles formes de gouvernement plus stables et aptes à assurer la paix, non seulement pour le Centuryon mais également pour le Continent Nord dans son ensemble.

Ayant ainsi employé tous les moyens de connaître les intérêts et la volonté des Sud-Centuryonnais, nous, en qualité de médiateur, sans autre vue que celle du bonheur des peuples sur les intérêts desquels nous avions à nous prononcer, et sans entendre nuire à l'indépendance du Sud-Centuryon, STATUONS ce qui suit :

Article I. Les territoires des dix-neuf cités du Sud-Centuryon, à savoir : Afonzell, Bufia, Bylle, Cerne, Etribor, Glaris, Hurissons, Luzienne, Malle, Nouse, Plisse, Soleure, Tein, Tarvina, Turi, Valaud, Valissa, Vignalaud et Wyzona, sont confédérés entre eux, conformément aux principes établis dans leurs constitutions respectives. Ils se garantissent réciproquement leurs territoire, leur liberté et leur indépendance, soit contre les puissances étrangères, soit contre l'usurpation d'une cité ou d'une faction particulière.

Article II. Un Congrès des cités se réunit une fois par an, à tour de rôle, dans chacune des cités.
Chaque cité envoie un nombre de délégués au Congrès ne pouvant excéder cinq personnes.
Pour le choix des questions à débattre par le Congrès, chaque cité a une voix.

Article III. Les déclarations de la guerre et les traités de paix ou d'alliance émanent du Congrès ; mais l'aveu des trois-quarts des cités est nécessaire.

Article IV. Le Congrès aura seul le pouvoir de faire battre monnaie et d’en fixer le titre et la valeur.

Article V. Les cités mettent en commun leur souveraineté pour ce qui concerne la signature des alliances et traités quels qu'ils soient et tous les aspects de la diplomatie.

Article VI. Il est chaque année élu un président de la Confédération, chargé de représenter la Confédération du Sud-Centuryon et de présider aux débats du Congrès.

Article VIII. Sa Majesté l'Empereur de Belondor est le garant des institutions et du présent acte confédéral et prend le nom de « Médiateur de la Confédération du Sud-Centuryon ».

- Je suis à votre disposition pour tout éclaircissement.

La question du Sud-Centuryon était-elle moins importante que l'établissement de l'étalon-or ? Assurément non. Même si l'affaire ne préoccupait pas l'Archichancellerie de l'Empire, la Grande Dignité devait toutefois surveiller la situation le long de la frontière et des interactions avec les Préfecture de Marceinne et d'Alsterdyon.

Pour autant, Son Excellence Calpunien de Varsalance semblait égarée dans ses pensées. Le texte qui lui avait été remis semblait profondément archaïque et assurément loin de l'idée d'Etat de droit que l'on connaissait en Belondor. Après une profonde inspiration devant certainement lui donner la force de répliquer, l'Archichancelier se ravisa. Pour autant, tout le monde semblait partager ce mutisme devenu quasiment la sacro-sainte règle lorsque les sujets étaient sensibles à ce point. Finalement, qui de mieux que la première Grande Dignité pour intervenir ? Se rajustant dans son fauteuil, Son Excellence Calpunien fit mine de relire le document tout en intervenant verbalement.

" Votre Excellence de La Villejégu. cette répartition en cités va effectivement avoir vocation à créer des dissensions, sinon engendrer des clivages pouvant conduire à des situations armées. Je rappelle au bon souvenir de cet honorable Conseil qu'une Grande Révolution est intervenue en Belondor pour faire cesser la féodalité et permettre à notre Nation de connaître l'Etat de droit par le dévouement et le sacrifice de la Maison de Temararien.

A mon sens, vouloir conserver le Sud-Centuryon dans une sitution délétère, tant pour son peuple que pour ses élites n'arrangera strictement en rien nos affaires ; je pense même que l'inverse se produira. Que ferons-nous lorsque les centuryonnais viendront réclamer l'asile chez nous ? que se passera-t-il lorsque ces cités se feront la guerre pour quelque lambeau de terre en plus ?
Je ne suis pas pacifique, ni même pacifiste par nature, mais je trouve qu'il est particulièrement dangereux de vouloir instituer une telle organisation qui devra nous forcer à intervenir toutes les semaines. "

Le Connétable de l'Empire écouta attentivement les propos de l'Archichancelier. Il les comprenait dans leur logique, mais ceux-ci n'étaient pas adaptés à la situation, en l'occurrence. Regardant si quelqu'un souhaitait s'exprimer avant lui-même, il vit que non et prit donc le parti de répondre au duc de Varsalance :

- Excellence, je comprends vos craintes, alors laissez-moi les évacuer. Vous craignez que les cités ne se fassent la guerre et que nous ne soyons obligés d'intervenir souvent pour rétablir la paix ? À cet égard, les articles I et VIII devraient vous rassurer. Le fait de porter garant Sa Majesté du présent acte confédéral rend impossible les guerres intestines à la Confédération, d'autant que celles-ci s'engagent à respecter les territoires, liberté et indépendance de chacune d'entre elles. Or, nul besoin d'intervenir effectivement pour garantir l'ordre et la sécurité, le simple fait de savoir que nos forces interviendraient immédiatement dissuadera toute cité de le faire.

Continuant sur le caractère « féodal » de la confédération, il poursuivit :

- Si je vous suis, Excellence Calpunien, vous souhaiteriez donc que le Sud-Centuryon soit un État-nation centralisé et unitaire sur le modèle belondaure. Soit. Mais alors, nous n'aurons pas à nous plaindre d'avoir entretenu le nationalisme centuryonnais, en lui offrant une caisse de résonance. Rappelons-nous tout de même pourquoi nous sommes intervenus... Or, l'objectif de cet acte confédéral est d'encourager les identités locales afin que soit obéré tout désir d'unité nationale. Le Belondor n'a jamais été aussi fort que uni, centralisé, derrière Sa Majesté. En appliquant un tel système au Sud-Centuryon, nous arriverions au contraire de ce que nous souhaitons, à savoir la destruction de toute velléité nationale centuryonnaise. La partition en deux du Centuryon et la partition en de multiples cités du Sud-Centuryon participent de cet objectif.

Se tournant vers Sa Majesté :

- Par un tel système, nous garantirions la paix à nos frontières nord. Votre Majesté, Excellences, messieurs les conseillers, la dilution du Sud-Centuryon, autour d'un pouvoir central vidé de sa substance est l'assurance de notre domination sur le Sud-Centuryon. En limitants les compétences de celui-ci au strict minimum pour considérer les cités, trop petites pour constituer une menace, comme l'échelon de droit commun, nous sommes certains de favoriser les identités et particularismes locaux et de réduire à néant le sentiment national.

D'un simple geste de main, l'Archichancelier fit mine de balayer et de débarrasser la question. Le mouvement, ample et lent, indiquait qu'il n'avait plus rien à ajouter. Il se permit toutefois, avec l'expression de quelqu'un qui trouve le temps long un " ainsi soit-il ", démontrant qu'il n'avait plus d'objection. Restait donc à savoir ce qu'en pensaient les autres membres du Conseil d'Etat.

Sa Majesté intervint alors pour clore la séance du Conseil d'État :

- Excellences, nous vous remercions pour vos bons et loyaux avis. Notre décision est prise concernant cette affaire et nous pensons que le projet d'acte confédéral présenté par monsieur le Connétable de l'Empire convient parfaitement à la situation du Sud-Centuryon.

La décision était donc prise. Sa Majesté leva alors un bras et dit :

- La séance est levée, vous pouvez disposer.