Pleure Yrusalem

Depuis l'annexion des quatre Etats germains par le Belondor, les différents courants syistes s'étaient regroupés derrière la Très Sainte (et néanmoins Belondaure) Église Occidentale qui s'opposait profondément à la Très Sainte Église Syiste, Eudémoniste, Philosophique et Galicienne. La volonté des cinq clergés d'allier leur force avait conduit à la reconnaissance du courant majoritaire, par la force à défaut de par le nombre, et avait permis l'instauration de la Très Sainte Église Réunifiée Syiste que l'on appelait toujours abusivement la Très Sainte Église Occidentale. Mais la nomination du Cardinal-Archiprêtre Turmwächter à la fonction de Grand Pontife n'était que le fruit de la volonté de Nabelnine II et dès lors, il avait dû se plier à sa règle.
Depuis, l'Illuminé était partagé entre Elbêröhnit et les Palais de Grazward et de Warmen. A la tête de plusieurs centaines de millions de fidèles, l'octagénaire devait constamment répondre aux courriers qui lui étaient transmis, nommer les représentants du culte et s'assurer que rien ne venait faire entrave au syisme.

Voyant l'automne toucher à sa fin, Sa Sainteté le Grand Pontife Hans Turmwächter s'était retirée dans son palais hivernal de Warmen pour quelques semaines de repos et de prière. Le trajet, particulièrement long et pénible s'était fait via les routes impériales, dans un carrosse flanqué des armes pontificales. La garde, assurée par les chevaliers de l'Ordre de la Rose Blanche, était composée d'une cinquantaine de cavaliers armés. Plusieurs voitures composaient l'imposant cortège afin de pouvoir déplacer toute l'assistance de l'Illuminé au cours du voyage. Long de dix jours, le trajet s'était fait une semaine seulement avant la chute des premières neiges, annonçant un hiver long et sûrement vigoureux ; c'était d'ailleurs pour cette raison que le Grand Pontife s'était hâté de partir pour l'ancienne Hollyade. Il espérait pouvoir retrouver un peu de quiétude loin du tumulte de l'Elbêröhnit.

En ce Hactoredine vingt-cinq Antonine deux-mille-sept-cent-quinze matin, Sa Sainteté le Grand Pontife était en pleine prière dans sa chapelle privée où les dévotions et les pensées pieuses se succédaient. A l'autre bout du palais, le père Karl von Shovenggenberg traversait les couloirs et galeries avec empressement. Il tenait dans sa main un télégramme provenant d'un courrier manuscrit rédigé à Yrusalem puis traité à Ecosient par les services télégraphiques. Son contenu, bien que tenu secret, informait le Grand Pontife de la situation dans l'ancien territoire croisé et de la crainte des autorités religieuses syistes face à l'autorité du pacha Hibbin Maktaba à leur égard.

Sa Sainteté Turmwächter ne s'attendait pas à une telle nouvelle bien qu'il avait appelé, dans sa Messe du 1^er Sevan à soutenir et défendre le syisme sur tous les points du micromonde. Son discours avait été clair et il résonnait encore dans toutes les têtes.
« Aujourd’hui le monde n’a pas besoin de croire, il a besoin de voir. Seule la philosophie de Sevan est capable d’ouvrir à l’Illumination. La Sainte Église Occidentale doit donc s’engager sur cette voie. Ô mandrites, que les ordres religieux et militaires se tiennent prêts à combattre l’obscurantisme pour laisser Sa Lumière submerger le micromonde ; que chacun prépare la diffusion des Très Saintes Notes et à défendre les âmes éveillées. Ô mandrites, nous devons protéger nos frères égarés d’Yrusalem et de Gallice, abandonnés par la Très Sainte Église Orientale. Notre devoir nous ordonne d’être la Terre qui accueille et chérit ainsi que l’Épée qui frappe et tue. Que l’Empire se tienne prêt à cette divine mission car Sevan Nous apparaîtra bientôt pour nous dire que l’heure est venue. Au nom de l’Épée, du Sang et de la Terre, ainsi soit-il. »

D'ordinaire, personne n'était autorisé à déranger Sa Sainteté pendant ses moments de recueillement et de méditation, mais la nouvelle contraignait le secrétaire personnel du Grand Pontife de le déranger. Passant devant la garde composée de membres de l’Ordre de la Rose Blanche en agitant son papier, le père von Shovenggenberg ouvrit l'une des portes de la chapelle et s'introduisit dans le lieu consacré, se tenant dans l'encablure de la porte. Après quelques minutes mystiques où Sa Sainteté semblait plongée dans une profonde méditation, elle se releva et tout en gardant les yeux clos, se retourna vers son secrétaire.

« Ô mandrite, de quelle nouvelle souhaites-tu nous faire part alors que nous étions en discussion avec Dieu ? »

Sa voix puissante résonna depuis la croisée du transept où son siège était placé, jusqu’au narthex qui lui faisait face, aux extrémités du transept de part et d’autre de Sa Sainte Personne et de la longue tablée, aux chapelles absidiales et enfin jusqu’en haut de la tour-lanterne elle-même. Malgré son âge, le Grand Pontife Hans Turmwächter demeurait en pleine santé et ne semblait pas affaibli ni marqué par la vieillesse ; il avait bien évidemment la barbe et les cheveux blancs ainsi qu'un visage ridé, mais ni sa voix ni sa démarche ne montraient de signe d'épuisement, bien au contraire. Il se mouvait toujours avec une grandeur impressionnante bien que son pas restait léger et gracieux sous ses amples robes. N'osant répondre dans ce lieu hautement symbolique, le prêtre remit simplement le document qu'il détenait à Sa Sainteté, qui le lut - sans même avoir besoin de lunettes - et qui le replia tout en rentrant en réflexion.

Il lui fallu derechef quelques minutes avant d'intervenir. Il sollicita son secrétaire une fois encore et lui demanda qu'on fasse préparer son bureau pour qu'il puisse envoyer plusieurs lettres dont une à Sa Majesté impériale Nabelnine II, tout en spécifiant qu'il voulait que le personnel de l'imprimerie pontificale soient prêts à diffuser auprès de cent millions de syistes le message qu'il comptait lancer. Une heure plus tard, après ses ablutions et son unique repas de la journée, il prit place derrière son immense bureau, plusieurs feuilles de papier ivoire au grammage conséquent attendant d'être noircies sous sa plume. Le papier était sans en-tête, très certainement car la version définitive des lettres serait recopiée par un copiste et adressées à leurs destinataires qui les recevraient dans plus d'une semaine ; pour autant, l'Empereur de Belondor serait informé d'ici quelques heures par télégramme.

Lettre privée à Sa Majesté impériale Nabelnine II de Temararien suite à l'information reçue de mauvais traitements infligés aux représentants du culte syiste à Yrusalem.

SA SAINTETE LE GRAND PONTIFE HANS TURMWÄCHTER,
Représentant de la Très Sainte Église Syiste Occidentale

A

SA MAJESTE IMPERIALE NABELNINE II DE TEMARARIEN,
Empereur de Belondor

Warmen, l'Hactoredine 25 Antonine 2714

Votre Majesté,

Dieu a voulu placer ses sujets face aux difficultés du monde pour qu'ils apprennent à s'améliorer et à grandir dans le cœur et dans l'esprit ; c'est dans le tourment et l'épreuve que chaque syiste apprendra ce qui est bon et juste et saura trouver le bonheur. Aujourd'hui, la Très Sainte Église Syiste Occidentale apprend que des représentants des clergés régulier et séculier des Églises Syistes Occidentale et Orientale situés en Yrusalem doivent faire face à la toute puissance d'un pacha halawite nommé par le Calife d'Alharkoum. Loin de reconnaître les Lois en vigueur depuis plusieurs siècles, cet administateur zélote dicte sa règle en privant de leurs droits les syistes de l'ancien territoire croisé. Par la voie de son pouvoir de dicter le droit, c'est l'ensemble de la communauté syiste qui se sent contrainte dans la libre expression de sa foy dont Nous sommes le représentant auprès des hommes. Puisqu'il relève de Notre devoir d’apaiser le cœur de ceux qui se sentaient meurtris au plus profond de leur être, nous vous prions d'écouter Notre humble requête.

Depuis toujours Nous prêchons la tolérance, le respect, la vertu et la justice, valeurs cardinales de Notre Eglise. Pour autant, Nous croyons ces quatre piliers rudement frappés par les sanctions qui sont prises contre la plus représentée des religions d'Yrusalem. En ayant voulu porter atteinte aux représentants du culte syste en Yrusalem, se sont des dizaine de millions de Belondaures qui se sentent stigmatisés en raison de leur croyance pour un Dieu plein de miséricorde et de bonté.

Il nous semble important sinon nécessaire de prouver que la Très Sainte Église Syiste Occidentale se préoccupe du sort de ses représentants quel que soit l'endroit du micromonde où ils se trouvent. Pour cette raison, Nous ordonnons que soient envoyées des vivres en Yrusalem pour porter assistance à nos frères et soeurs soumis au joug tyrannique d'un pacha zorthodoxe converti à l'halawisme. Notre poids politique se trouverait confortée si Sa Majesté entendait appuyer notre intervention et sollicitait par la voie diplomatique l'arrêt de ces brutalités exercées envers Nous.

Majesté, recevez nos doléances et soyez assurée de nos prières pour le salut de votre âme et de celle de votre peuple,

H.T.G.P.