Séance du 1er Constantine 2715

La situation était préoccupante. Certes, cette fois-ci, Edoran et le Zollernberg combattaient côte à côte – ou plutôt, n'allaient pas tarder à entrer dans un conflit de concert contre un troisième larron – et, en ceci, il aurait pu être possible de se réjouir de les voir s'armer et prendre le large pour rendre à la raison les pirates de Sorabe. Cette petite principauté qui n'en avait que le nom était, néanmoins, principalement composée de ressortissants belondaures à l'origine. La langue qui y était parlée était le belondaure et le syisme y était majoritaire. D'une certaine manière, c'était donc dans la zone d'influence belondaure qu'allaient pénétrer les Zollernois et les Edoranais, et sorabe n'était qu'à quelques centaines de kilomètres plus au sud de la métropole.

C'est pourquoi le jour même où l'Empereur avait ratifié le traité de fondation de la Triple-Alliance entre le Belondor, Edoran et le Zollernberg, Sa Majesté avait convoqué le premier Conseil de Guerre de l'année, cet organe du Conseil de l'Empereur réservé au traitement des questions importantes de politique militaire et étrangère. Tous les membres de droit, c'est-à-dire les grands dignitaires, et les militaires qui y avaient été nommés par Sa Majesté l'Empereur étaient présents. Lorsque tout le monde fut entré, Sa Majesté impériale pénétra la dernière dans le salon Antonine I^er. Tous la saluèren selon le protocole et elle invita les membres du Conseil à s'asseoir, une fois elle-même assise. Nabelnine II commença alors à parler :

- Excellences, messieurs. Vous savez tous qu'un navire zollernois a été attaqué par les Sorabes dans un acte de piraterie sans nom, faisant plus de cent victimes. Or, en conséquence, le Zollernberg et Edoran, deux de nos alliés, ont décidé de faire payer cher à cette petite île qui se prétend « principauté » cette quasi déclaration de guerre... Nous avons signé un traité d'alliance défensive avec ces deux États voilà peu. Cependant, vous n'êtes pas sans savoir que nous sommes dans une situation particulière, tant par la proximité géographique de l'île de Sorabe d'avec le Belondor que de par la composition humaine des habitants de cette principauté, constituée en grande partie d'anciens Belondaures... Tous ces éléments font que nous avons des intérêts contradictoires qui entrent en jeu. Nous avons donc décidé de convoquer ce Conseil de Guerre afin de recueillir votre loyal avis sur la question.

A peine revenu de la mer Océane où il avait été signer le traité de fondation de la Triple-Alliance entre le Belondor, Edoran et le Zollernberg, le Connétable de l'Empire et maréchal Archibald de La Villejégu, repartait pied au plancher dans une nouvelle affaire d'envergure internationale qui menaçait la paix à quelques encablures de la côté belondaure. Se redressant, le visage grave, il intervint :

- Votre Majesté, pour moi, la situation est on ne peut plus claire. Les Edoranais et les Zollernois sont nos alliés depuis aujourd'hui même, et ce officiellement. Mais ils interviennent dans ce que je considère est notre « zone d'influence ». De par la religion majoritaire, la langue parlée et la culture de Sorabe, il apparaît comme une évidence qu'elle est de notre ressort ; a fortiori du fait de la proximité géographique cette pseudo-principauté pirate d'avec le Belondor. Pouvons-nous laisser nos nouveaux alliés intervenir dans notre zone d'influence alors même qu'ils sont censés la respecter de par l'article II de ce traité de fondation de la Triple-Alliance ? Si je pose la question, c'est parce que j'ai un avis. Pour ma part, Votre Majesté, je pense qu'il est nécessaire d'appeler les Edoranais et les Zollernois à rentrer chez eux. Il est de notre ressort de « faire la police » dans la région.

L'Archichancelier de l'Empire était affligé par la situation. Il répondit immédiatement après le Connétable de la Villejégu avec lequel il était tout à fait d'accord.

" Voilà qu'un nouveau traité lie l'Empire de Belondor, et ses alliés partent en guerre sans s'entendre préalablement tous les trois sur l'action à conduire ? Allons, qu'est-ce que cette marronnade ! Les Edoranais et les Zollernois ne sont que des coquins et des va-t'en-guerre ! Et c'est avec cela que l'on se retrouvé lié militairement ? Non sans remettre en cause le présent traité, je ne suis absolument pas d'accord avec la façon de faire des zollernois. Il existe un traité, ils doivent le respecter ! "

L'amiral de la Marine impériale – c'est-à-dire le commandant de l'ensemble de la flotte belondaure – Hubert de Voissieu semblait en totale harmonie avec les propos du Connétable et de l'Archichancelier. Pour lui, il était inimaginable, impensable même, que les Edoranais et les Zollernois aient pu avoir le toupet de ne pas prévenir leur allié belondaure d'une telle affaire. Réclamant la parole, il dit, sursautant quelques peu sur sa chaise (âgé de 61 ans, il n'était plus de grande fraîcheur) :

- Ces Zollernois et Edoranais sont des saloupiauds sans manières ! C'est à nous la Sorabe ! J'ai mis la flotte en état d'alerte, comme vous l'aviez demandé Votre Majesté. Vous n'avez qu'un mot à dire et les flottes de Varsalance et Ecosient – plus de cent vaisseaux – partiront vers la Sorabe, obligeront les mal élevés à rentrer chez eux et mettront eux-mêmes un terme à tous ces désordres.

Sa Majesté l'Empereur avait demandé à être informée au cours de la séance du 1^er Constantine de tout élément nouveau qui intéresserait le Conseil. Son secrétaire personnel, monsieur Charles Degaulle, pénétra dans le Salon Antonine I^er accompagné d'une estafette de l'Etat-Major impérial alors que l'Amiral de la Marine impériale venait de conclure.

" Sa Sainteté le Grand-Pontife a décidé d'envoyer six navires de l'Ordre de Sainte-Eléa-la-Ressuscitée en Sorabe ; officiellement, dans le souci de porter secours et assistance aux syistes de la principauté. Cette mission a été placée sous la direction de l'Archimandrite Frederick Zellendorf qui agit au nom de la Très Sainte Eglise Syiste Occidentale.

Avec deux navires humanitaires scanthélo-krasslandais, l'Alstyon est le seul a avoir pu accoster à Port-Princier. Les cinq autres navires ont jeté l'ancre au large mais ont hissé les flammes de guerre, indiquant qu'ils sont prêts à ouvrir le feu sur tout navire l'empêchant de remplir sa mission. "

Le duc de Varsalance avait écouté les interventions de l'Amiral Hubert de Voissieu puis de l'Architrésorier de l'Empire avec satisfaction. Voilà que tous se rangeaient derrière un avis unanime de rappeler à la scène micromondiale que l'Empire de Belondor ne pouvait pas être mis de côté dans une pareille situation, alors même qu'il s'agissait de sa zone d'influence. Les propositions avancées par son confrères Nerym paraissaient bien plus judicieuses que les dernières actions des flottes alliées en mer Océane.
D'ailleurs, l'intervention de l'estafette de l'Etat-Major soulignait un point important, que l'Archichancelier entendait bien affermir.

" Majesté, Excellences, Officiers, messieurs, un élément important vient d'être porté à notre connaissance. En envoyant des bâtiments de l'Ordre de Sainte-Eléa-la-Ressuscitée, Sa Sainteté Turmwächter entend faire peser la voix de la Très Sainte Eglise Syiste Occidentale dans le conflit. Jusqu'à présent, et à ma connaissance, jamais une telle prise de position militaire n'avait été prise dela part du Grand-Pontife.

L'arrivée sur place de l'Archimandrite Frederick Zellendorf place de fait le Belondor sur le devant de la scène diplomatique puisqu'il représente indirectement nos intérêts. Pour éviter que la situation paraisse suspecte envers nos alliés et le peuple, je pense qu'il nous faut répondre rapidement en soutenant la médiation de l'Eglise et en appelant les souverains édoranais et zollernois à la retenue et à la discussion. "

L'estafette de l'Etat-Major, sortie entre-temps, reparut de nouveau. Le visage visiblement crispé, le soldat intervint encore.

" Une flotte édoranaise a été vue au large de Varsalance. Il semblerait que leur intention d'attaquer soit imminente. La Marine impériale attend ses ordres mais s'inquiète de la situation. "

Une fois encore, tous les visages se tournèrent vers Sa Majesté l'Empereur. Il fallait faire vite désormais, si l'Empire n'intervenait pas, sa crédibilité sur le plan international serait très certainement remise en cause. Nul doute par ailleurs qu'une déclaration de guerre serait voulue contre le Zollernberg s'il s'en prenait à un navire belondaure ou représenté comme tel, ce qui ferait la plus grande joie des dirigeants krasslandais.

Il y avait, semblait-il, un consensus du Conseil de Guerre. Certes, le Grand Maître et le Grand Électeur ne s'étaient pas encore exprimés, mais il y avait fort à parier qu'ils diraient la même chose que le chef de la flotte, le Connétable (également chef de l'armée de terre), l'Archichancelier et l'Architrésorier. Tout du long, l'Empereur n'avait pas cillé, toujours impassible. Néanmoins, il avait tenté d'analyser l'entière complexité de la situation pendant que les membres du Conseil s'exprimaient. De fait, la décision impériale était prise...

- Excellences, messieurs. Nous vous remercions de vos loyaux avis. Nous avons ainsi pu déterminer quelle était la meilleure décision à acter pour l'Empire. Il nous faut parer au plus pressé pour que la grandeur du Belondor soit respectée et que notre sphère d'influence – car nous considérons Sorabe comme en faisant partie – ne soit pas baffouée.

Se tournant vers l'amiral de Voissieu à qui il s'adressa :

- Excellence, partez immédiatement pour Ecosient. La I^e flotte, sise à Ecosient, compte cinquante-neuf bâtiments, la II^e flotte, à Varsalance, en possède quarante-trois. Le ministère de la Guerre enverra un télégramme aux amiraux Bellevhon et Granerel, à la tête de ces deux flottes, pour qu'ils se placent sous votre commandement puisque vous êtes le chef d'état-major de la Marine. Vous vous dirigerez vers Sorabe avec comme instruction d'empêcher tout acte de guerre et d'être une force d'interposition et de médiation.

L'amiral semblait agréablement surpris de voir le jeune souverain être ainsi au courant du nombre de bâtiment de chaque flotte. N'en tenant aucun compte, comme toujours, Nabelnine II poursuivit en s'adressant au Connétable :

- Vous allez publier, en votre nom et non pas par le truchement du ministère des Affaires étrangères, un communiqué indiquant que l'Empire de Belondor, respectueux de sa parole donnée, fera respecter le Traité de fondation de la Triple-Alliance dans toutes ses clauses. Vous préciserez que, de fait, de par sa proximité géographique, culturelle, religieuse et linguistique, l'Empire considère la Sorabe comme étant partie de sa zone d'influence et que nul État n'est autorisé à y pénétrer sans son consentement et que, par ailleurs, seul nous sommes habilités à intervenir pour y rétablir l'ordre.

Alors que le Connétable terminait de prendre note, l'Empereur conclut :

- Messieurs, c'est l'honneur du Belondor qui est en jeu. Il s'agit du respect et de la crainte que nous inspirons à la communauté internationale. Nous ne sommes pas une nation de pacotille. Lorsque l'Archipel entend notre nom, c'est l'admiration et la déférence qui doivent leur venir à l'esprit, non pas le ridicule et l'indifférence. Il sera toujours temps de définir, suivant les propres mots de l'Architrésorier, une « doctrine en la matière ». Nous comptons sur votre loyauté sans faille et votre dévouement à la cause impériale durant cet événement.