Un réveil difficile

La capitale semblait sortir de sa torpeur en ce mois de Nabelnine. Si les communications étaient désormais rétablies avec la proche banlieu elbêröhnitoise, les informations provenant des autres préfectures de l'Empire étaient plus rares. Au milieu des centres de ravitaillement et des centres populaires où se regroupaient les plus démunis, le commissaire Lébian Thilovine semblait revenir de vacances. Le teint hâlé, des costumes aux tissus exotiques fraîchement taillés et une humeur bien étrangère à celle des survivants du Grand Hiver.

Toujours appelé en mission à l'étranger, malgré son affectation officielle au sein de la Police, Lébian conservait cette faculté extraordinaire à être là où on ne l'attendait pas... et surtout à ne pas être là où il devait être. Pour une fois, il l'apprit à ses dépends. Arpentant la rue devant le conduire à son domicile, il comprit immédiatement que la population s'était servie là où elle avait pu, sans autre considération que la survie. Par la force des choses, l'hôtel particulier qu'occupait le commissaire avait été fouillé de fond en comble, le garde-manger et les biens de valeurs ayant disparu depuis longtemps. Dans sa rage sourde, la première chose à laquelle pensa Lébian Thilovine fut de mettre la main sur son six coups caché dans le plancher de son atelier puis, une fois l'arme à la ceinture, de prendre la plume et d'écrire directement au ministre de la Police générale.

Lettre de Lébian Thilovine à l'attentio de M. le minsitre de la Police générale a écrit:: Courrier confidentiel

Émetteur : M. Lébian Thilovine - Commissaire de police
Destinataire : Monsieur Lucès Borthinius, ministre de la Police générale

CONFIDENTIEL – SÛRETÉ INTÉRIEURE

De: L. Thilovine
A: M. le ministre de la Police générale
Le : 7 Nabelnine 2716

M. le ministre

Au cours de ce terrible épisode neigeux qui a entraîné le Belondor dans la pire crise de son histoire, je suis au regret de vous annoncer que j'ai été victime d'un cambriolage alors que j'étais en mission à l'étranger pour le compte des services secrets.

Les morts-la-faim qui ont osé s'en prendre à mon hôtel particulier ne sont malheureusement pas partis bredouille. Au milieu des jambons et fromages en affinage, ainsi que des vins entreposés dans le garde-manger, ils se sont aussi servis dans la bibliothèque - sûrement pour brûler des pages inestimables, des plus grands auteurs belondaures des siècles derniers, en vue de se réchauffer - ainsi que dans le reste des lieux.

Assurément, la police n'a pas fait son travail! A aucun moment il ne m'a semblé qu'elle soit parvenue à remplir sa mission de protéger la population, bien au contraire. Lorsque je constate l'étendue du ménage qui attend mes domestiques, je réalise que la situation n'a, à aucun moment, été sous le contrôle de vos hommes.

Tenant à vous faire part de ce terrible coup du sort avant de devoir déposer une plainte auprès de mon commissariat, je vous prie de croire, M. le ministre, en mon plus grand dévouement,

L. Thilovine

S'il n'avait reçu aucune réponse du ministre Lucès Borthinius depuis sa lettre de la veille, la nouvelle que venait de lui apprendre son majordome Stefen laissa Lébian tout à fait coi. C'est par un simple courrier olographe, non-daté et non-signé provenant de l'Archichancellerie de l'Empire qu'on lui annonçait tout simplement qu'il était nommé ministre de la Police générale. D'un naturel circonspect, Lébian cru tout d'abord à une mauvaise farce de la part d'un fonctionnaire ayant peu goûté sa protestation auprès du Sieur Borthinius. Toutefois, il reconnu sans mal le papier à lettre ainsi que l'écriture ronde et harmonieuse griffée dessus... c'était pour sûr celle d'Etzel Calpunien.

Se laissant tomber dans un fauteuil en cuir avec le courrier en main, il interpella sont majordome :

« Mon brave Stefen, il va falloir vider mon bureau au commissariat et me faire tailler un nouveau costume. Avant de battre le pavé, apporte-moi mon écritoire et un cigare... j'ai quelques amis à remercier. »

Il ne faisait nul doute que les salons du ministère l'éviction de Lucès Borthinius était le fait de l'exubérant commissaire de police. S'il avait su qu'une simple lettre aurait fait tomber la tête de son supérieur, il l'aurait remplacé depuis bien longtemps.

» Le réveil d'un serviteur de l'Empire