Une Ombre plane sur Elbêröhnit...

Il pleuvait comme souvent en ce début d’hiver sur le Belondor, les habitants se calfeutraient chez eux avec l’espoir de rester au sec et d’attendre la fin de l’orage pour pouvoir s’occuper. Mais les heures défilaient sans que la colère du ciel ne s’apaise. La nuit tomba brusquement et si les trombes d’eau cessèrent, les nuages cachèrent la douceur de la lune rendant la nuit encore plus noire. Seuls les réverbères baignaient les rues d'une lumière fade, les flammes qui n'étaient pas déjà éteintes, vacillaient fortement, comme pour annoncer un événement lugubre.
Une ombre encapuchonnée se glissait entre les rues étroites de la capitale. On pouvait entendre un bruit de talons frapper la dure pierre qui pavait les rues.

L’inconnu marchait rapidement en direction du palais impérial avant de tourner un peu avant pour disparaître dans une ruelle. Retirant son capuchon à l’abri des regards indiscrets, il balança par terre son couteau tâché de sang.
Demain on parlera de lui dans les journaux.

Son crime restera à jamais gravé dans les annales. Un fin sourire illumina son visage à cette pensée. L’assassin n’avait qu’une hâte. Qu’à nouveau la nuit tombe pour recommencer.

Une nouvelle nuit s'était étendue sur Elbêröhnit, emprisonnant toute source de lumière. Il faisait frais, humide. Rares étaient les gens ayant mis le nez dehors par une telle soirée. Pourtant, certains avaient osé s'aventurer hors de leur doux et chaud foyer. La plupart, bien entendu, n'avaient eu qu'à affronter la pluie étonnement glaciale de cette fin de Maxenine 2714. Un manteau chaud, une écharpe, des gants et du courage suffisaient pour faire face dans ce cas-là. Mais d'autres n'avaient pas eu cette chance. En effet, l'Ombre était passée par là et avait de nouveau accompli son horrible forfait.

La victime ? De nouveau un grand ponte de la finance belondaure en la personne de Oriel Vissilin, administrateur général du Crédit Libéral d'Elbêröhnit. Le commanditaire ? Toujours cet homme étrange qui ne la contactait qu'épisodiquement, qui lui remettait des sommes d'argent mirobolantes et qui parlait avec un accent étranger tellement fort qu'il en devenait difficile à la compréhension.

L'Ombre laissa Vissilin dans une marre de sang. La prochaine fois, il lui faudrait faire plus attention. Celui-ci avait failli donner l'alerte et réussir à s'échapper. Et il était évident qu'à présent les services de police n'allaient pas tarder à enquêter sur cette étrange coïncidence que trois assassinats de patrons de l'industrie financière en moins d'un an. Mais de cela, l'Ombre s'en soucierait plus tard.

L'Ombre se savait désormais recherchée. Était-elle pour autant en danger ? Non, certes pas. Il se faudrait beaucoup de temps avant que les stupides enquêteurs de la police impériale ne parviennent à mettre la main sur elle. Et pourtant... son contact ne lui avait plus donné de nouvelles depuis des semaines désormais. Il semblait avoir pris peur. A moins que ce ne soit tout-à-fait autre chose ? Un changement de stratégie de la part des commanditaires des assassinats ? C'était plausible, d'autant que l'Ombre soupçonnait ses clients de n'être pas Belondaures et d'être motivés par autre chose que la vengeance personnelle et l'appât du gain. Peut-être y avait-il un motif politique derrière tous ces contrats ? Après tout, qu'est-ce que cela pouvait lui faire... L'Ombre avait été payée et bien. Voilà tout ce qui lui importait. Le reste n'était que bavardages et sermons moralisateurs impropres à son commerce.

Néanmoins, elle avait entrepris de se faire plus discrète depuis son dernier assassinat. D'autant que la police, bien qu'il n'y eut aucun indice qu'elle semblât une seule seconde se douter de qui était l'assassin se montrait de plus en plus pressante. Elle multipliait les patrouilles la nuit et, bénéficiant de mandats, perquisitionnait chez ceux réputés pour être des tueurs à gage ou des hommes de main. Dès lors, elle avait refusé plusieurs contrats pour des sommes relativement modiques par ailleurs...

Surtout, elle avait enfin compris qui était derrière ces meurtres qu'on lui avait demandé de commettre. En effet, qui aurait pu avoir intérêt à déstabiliser l'ensemble du secteur bancaire et des assurances belondaure, afin d'en prendre possession et de tenir sous sa coupe le marché financier de Belondor ? Et, si ce n'était pas elle la commanditaire, pourquoi l'Empereur aurait-il donné des instructions par lesquelles la Banque impériale forçait ces établissements financiers, au bord du gouffre et prêts à passer en mains étrangères, à valider par leurs conseils d'administration leur principe de leur absorption par celle-ci ? Oui, elle risquait gros désormais. Car, si elle était prise, elle deviendrait une traîtresse à la Patrie. En effet, si l'Empire n'était pas officiellement en guerre avec elle, l'Alvion était bel et bien l'ennemie du Belondor...