Les Secrets de Marilia

Si Samiel Verrossand, aujourd'hui à la tête d'un magasin de 400 m² et de quinze employées, avait un jour pensé en être arrivé là, il se serait déclaré fou sur-le-champ. Pour lui, aucune autre phrase ne résume mieux son histoire que celle-ci : la vie est faite d'opportunités qu'il faut savoir saisir.

Assurément, ces opportunités furent la Fronde d'Elbêröhnit et son souhait de quitter la Capitale qui lui permirent aujourd'hui de couper le ruban vert et jaune devant le magasin avec les ciseaux de l'une de ses confectionneuses. Alors que sur la Place de l'Arc de Triomphe, des dizaines de milliers d'hommes et de femmes prenaient les armes à la demande du Vicomte de Razard, Samiel avait préféré abandonner la ville pour ne pas avoir à prendre part aux combats. Pourtant, c'est bien ce qui se produisit. Alors que la foule se dirigeait vers le Palais Ceronine II, le jeune homme avait préféré prendre vers le nord-ouest et passer par l'une des portes de la ville, qu'il trouva close. Partout autour de lui des barricades étaient en train de se monter et les gens s'attaquaient les uns les autres, parfois pour une simple suspicion d'appartenir au camp d'en face. Face à un tel déchaînement de violence, Samiel avait essayé de passer par de petites ruelles, jusqu'au moment où sa route croisa celle de Félix Diotard, un respectable bourgeois qui faisait parti de l'Elbêröhnit bourgeois et mondain que la populace excédée voulait mettre à mal. Le vieil homme qu'il connaissait pour l'avoir déjà rencontré à l'occasion de plusieurs réceptions venait d'être passé à tabac par une bande de jeunes délinquants. Immédiatement, le jeune homme lui porta secours, voyant cet individu, soudainement si familier, le visage en sang et cherchant à se mettre à l'abris.

Craignant que d'autres sécessionnistes ne les trouvent, il porta le vieil homme jusqu'à une boutique qu'il ferma à double tour, espérant qu'on ne vienne pas les y chercher. Barricadés dans une épicerie, les deux esthètes passèrent des journées entières à discuter et à échanger sur leur histoire, devant finalement bien plus qu'intimes. Samiel était un jeune homme doté d'une incroyable beauté et il intimait toujours chez ses interlocuteurs une profonde jalousie sinon un effroyable désir. Dès lors, quoi de mieux qu'un homme ayant passé son temps à profiter de la vie pour échanger et la beauté sous toutes ses formes ? Ce fut l'occasion pour Samiel de faire part de son rêve d'ouvrir un commerce un jour, pour y vendre tout ce que les Belondaures pensaient impossible de trouver face à eux. Avec un brin de naïveté, le jeune homme voulait façonner la mode de l'Empire sinon de l'ensemble du Continent, disposer du plus vaste cabinet de curiosités ou bien encore vendre toutes les épices connues et recensées à travers le Micromonde. Mais pour réaliser son rêve, il lui fallait bien plus que son sourire et ses beaux mots.

A la libération d'Elbêröhnit par le Général de La Villejégu et l'Archichancelier Etzel Calpunien, Félix Diotard décida de se retirer dans sa Lycoze natale sans chercher à céder ses biens à Elbêröhnit au plus offrant ; il avait décidé que le prix de sa vie sauve valait tous ses biens et toutes ses richesses à la Capitale, le tout accumulé pendant quarante ans, et qu'un homme comme Samiel aurait certainement l'énergie et le courage de faire de grandes choses avec. Et ce fût le cas.

Samiel avait ainsi passé plus d'une année à poursuivre ses mondanités et à trouver encore de nouveaux fonds et de nouvelles offres pour bâtir le marché de ses rêves tout en profitant de ses plaisirs inavouables. Il avait déniché une bâtisse dans laquelle il avait commencé à exposer des oeuvres de d'art venues de l'ensemble du Continent Nord mais les lieux étaient trop exigus et trop éloignés de la vie animée de l'Avenue de l'Empire. Il avait donc réussi à trouver un prix de vente intéressant au fonds de commerce et avait obtenu l'acquisition d'un espace plus grand au sein d'un riche quartier résidentiel. Son rêve lui était désormais accessible : ouvrir non seulement la mercerie que sa mère, Marilia, avait toujours voulu tenir mais en outre mettre à disposition des chalands tout ce que la Nature et l'esprit humain avaient jugé bon de créer.
Il sollicita pour ce faire l'assistance de quatre couturiers, de seize confectionneuses et de très prospecteurs envoyés partout où il le jugeait bon pour en ramener tout ce qu'ils jugeraient incroyable. Il dépensa plusieurs milliers de sesterces pour l'achat des tables de confection, des machines à coudre, à broder, à tricoter, à repasser et tout autant pour ouvrir une vaste épicerie.
Les secrets de Marilia devait ainsi être une boutique où l'on y trouverait tous les accessoires nécessaires à la couture ainsi que des vêtements pour dame et enfants déjà cousus avec le soin et l'efficacité des employées du magasin mais par-delà, être aussi le lieu où faire ses achats, plutôt que d'aller dans les halles ou bien chez les commerçants profitant de la spéculation sur les prix pour faire toujours un peu plus flamber ceux des matières premières. La surface de vente et l'atelier de confection étaient aussi vastes l'un que l'autre et les conditions de travail avaient été négociés entre Samiel et le Couturier en chef pour qu'il n'y ait pas de baisse de production ni de grève, contre un salaire plus élevé.

Le Primodine 22 Octovus 2714, Samiel réalisait enfin son rêve. Celui qui arriva à Elbêröhnit comme simple nanti venait de trouver grâce auprès de Dieu.