Sommet belondo-crasselandais

Assurément, les préparatifs de la rencontre au sommet entre l'Empereur de Belondor et le président de la semi-République de Crasselande ne s'étaient pas déroulés de la même manière que ceux du sommet de la Triple-Alliance qui avait eu lieu quatre mois plus tôt. En effet, point de bal, de festivités diverses, et autres divertissement cette fois-ci. Les deux États reprenaient leurs relations diplomatiques après les avoir rompues voilà quelques semaines. Il s'agissait de résoudre un conflit territorial et non pas de faire montre d'amitié et d'approfondir des relations amicales.

Nonobstant, l'Empereur avait revêtu ses plus beaux atours, en uniforme de colonel des grenadiers de la Garde impériale. Et tout avait été prévu pour accueillir comme il se devait le chef de l'État crasselandais. Ainsi, lorsque les membres de la délégation étrangère seraient arrivées, il avait été programmé de passer en revue les troupes de la Garde impériale stationnées dans la cour de marbre du palais afin de leur rendre les honneurs dus à leur rang, à tous deux. En effet, n'était-il pas un monarque et qui en tant que tel traitait les autres chef d'État avec respect ? Par la suite, la musique de la Garde impériale jouerait alors les hymnes nationaux du Belondor et du Crasselande.

Lorsque la délégation arriva en vue, atteignant enfin le sommet du plateau, Sa Majesté l'Empereur attendait devant le palais impérial, avec derrière lui deux des grands dignitaires : l'Archichancelier de l'Empire et Grand Electeur de l'Empire, le duc Etzel Calpunien de Varsalance, ayant tutelle sur les ministères des Affaires administratives, de la Police générale et de la Justice, de l'Université impériale et des Affaires sociales, ainsi que le Connétable de l'Empire et Architrésorier de l'Empire, le sieur Charles Marksane, ayant tutelle sur les ministères des Affaires étrangères, de la Guerre, de l'Échiquier et du Trésor. Le ministre des Affaires étrangères serait le seul ministre également convié à cette réunion au sommet.

« Excellence »... visiblement, le président crasselandais semblait vouloir se refuser à donner du « Votre Majesté » ainsi que l'avait laissé penser les échanges épistolaires précédant cette entrevue. Mais l'Empereur était décidé à faire fi de cela. Il ne souhaitait pas se focaliser sur le seul protocole. Après tout, le Crasselande était un pays de marchands et avant tout tournés vers le profit. Les raffinements protocolaires avec toutes leurs nuances devaient être des détails leur échappant. Il répondit donc à celui :

- Votre Excellence, bienvenue en Belondor. Nous espérons que le voyage n'aura pas été trop long et, qu'en tout état de cause, il aura su vous être agréable.

D'un signe de la main, le jeune souverain belondaure âgé de vingt-quatre printemps invita le chef d'État voisin à le suivre. Faisant désormais face à la Garde impériale, les deux hommes, suivis de leurs délégations, quittèrent donc le tapis rouge pour se placer en face de la Garde impériale au garde à vous. Sur chaque côté étaient placés des musiciens de celle-ci. Ceux-ci jouèrent alors les deux hymnes nationaux. Au bout de quelques minutes, une fois fini la présentation des hymnes, Sa Majesté impériale invita la délégation crasselandaise à monter jusqu'à l'étage où étaient situés les appartements de l'Empereur. En effet, c'est dans un des salons qu'il était prévu de travailler. Une fois chacun disposés à leurs sièges ou fauteuils, Sa Majesté commença à s'exprimer à destination du chef de l'Etat et du ministre des Affaires étrangères crasselandais :

- Votre Excellence, madame, nous sommes heureux de vous voir en Belondor, en ces murs du palais impérial Elbêröhnit. C'est la première fois que nous avons l'honneur d'accueillir des membres du gouvernement de la Semi-République, du Crasselande tout court même. S'il y eut bien quelques ambassadeurs auparavant, très certainement, il n'en est rien depuis la Grande Révolution qui a eu lieu il y a plus de cent quarante ans.

S'adressant spécifiquement au président :

- Nous sommes heureux, qu'à l'inverse de votre prédécesseur, vous ayez répondu par la positive à notre proposition de venir en Belondor même pour tenter de régler par la voie diplomatique nos différends. Nous vous proposons, si vous n'y voyez pas d'inconvénients, de commencer de suite nos négociations...

Souriant, le jeune souverain fit un signe de la main en direction de Conrade Meister, si celui-ci souhaitait s'exprimer.

L'Empereur avait écouté attentivement. De suite, les deux grands dignitaires de l'Empire transmirent leurs conseils à Sa Majesté. Après tout, la proposition crasselandaise était raisonnable, et peut-être pouvait-on obtenir quelques compensations en échange et quelques soutiens ? L'Empire pouvait effectivement accepter de céder une partie de son territoire en échange de quelques contreparties. Ce président Meister paraissait bien plus raisonnable que ses prédécesseurs, très bellicistes, refusant le dialogue. L'Empereur avait écouté l'Archichancelier et Grand Électeur Etzel Calpunien de Varsalance et le Connétable et Architrésorier Charles Marksane, et désormais il avait pris sa décision :

- Votre Excellence, nous remarquons effectivement que vous avez diminuer vos prétentions. De fait, il y a possibilité pour nous d'entrer dans une phase de négociation. Nous tenons à saluer votre modération et votre aptitude au dialogue. Il est plaisant d'être en personnes raisonnables et ouvertes. Nous sommes prêts à consentir à vous donner satisfaction. Mais nous aimerions obtenir quelques satisfactions. Nous aimerions avoir la liberté de passage de nos navires de commerce dans le détroit de la Crazee et obtenir le droit de mouiller pour nos navires de commerce dans les ports crasselandais. Nous serions, évidemment, prêts à faire de même pour les ports belondaures envers les navires crasselandais. De même, nous aimerions pouvoir obtenir l'assurance que le Crasselande ne s'ingèrera plus dans nos affaires internes, ce qui passe par la dénonciation du votre traité avec la Sorabe, partie du territoire belondaure. Enfin, il ne nous semblerait pas nécessairement qu'il soit d'une grande injuste que, en contrepartie de la cession de notre territoire au Crasselande, nous prenions le contrôle d'une partie du territoire en anarchie situé entre nos Etats.

Un silence s'installa suite aux propos de l'Empereur. Sa Majesté dit alors :

- Qu'en dîtes-vous, alors ?

La discussion s'avérait difficile. Les Crasselandais entendaient obtenir un avantage et une concession de la part du Belondor sans rien céder en retour. Il fallait néanmoins faire preuve de diplomatie afin que les pourparlers n'échouent pas de si bonne heure. Après avoir reçu les conseils des grands dignitaires, Sa Majesté dit donc :

- Votre Excellence. Si nous faisons des concessions, territoriales qui plus est, nous ne pouvons le faire sans rien demander en retour, sinon nous passerions pour un souverain qui a trahi son serment envers Dieu et l'Empire, ce que la Constitution ne nous permet pas de faire. Nous souhaitons permettre à votre flotte marchande de venir mouiller dans nos ports afin d'y faire escale, de même que vous autorisiez nos navires de commerce à faire escale dans les vôtres, rien de plus. En ce qui concerne le Nord-Crasseberg, le Belondor peut faire un geste supplémentaire en reconnaissant formellement l'annexion des terres sous protectorat russlave que vous avez effectué voilà quelques mois. Nous aurons toujours le loisir de régler la question de la liberté de navigation sur la Crassee ultérieurement.

Après une brève pause, il poursuivit :

- Il apparaît que les terres que vous revendiquez ne sont pas habitées, si ce n'est par quelques milliers de paysans, pour l'immense majorité anciennement Hollyadiens. Une ancienne cité en ruine y est présente, mais totalement inhabitée, et c'est vraisemblablement celle-ci que vous souhaitez recouvrer. L'article 9 de notre Constitution nous impose de maintenir l'intégrité du territoire belondaure. Nonobstant, si aucune population n'est présente sur une portion de celui-ci, nous pensons pouvoir nous arranger de cette disposition. Nous vous proposons donc d'évacuer préventivement les populations belondaures présentes sur ce territoire, ce qui vous évitera d'ailleurs la peine d'avoir à les assimiler ou à les intégrer. Ainsi, l'échange sera possible...

Il avait fait des concessions, il lui fallait désormais demander des gages :

- Nous pensons qu'il ne nous paraîtrait pas exorbitant de pouvoir passer sous notre souveraineté les terres en anarchie présentes à l'est du Belondor et à l'ouest du Crasselande, entre nos deux États. Celles-ci sont causes de grands soucis à nos frontières, provoquant bien souvent rapines et brigandages, peut-être est-ce d'ailleurs le cas également chez vous ? Nous souhaitons y mettre bon ordre. C'est pourquoi nous vous proposons de passer sous notre contrôle le sud de la zone considérée. Par ailleurs, vous nous affirmez que la Sorabe est un Etat souverain avec lequel vous pouvez librement contracter un traité international. Nous vous répondons qu'il n'en est rien. En effet, l’île de Sorabe a été découverte en 1853, selon le calendrier de l’Empire de Belondor, par des repris de justice belondaures. En 2312, le Royaume de Belondor est intervenu par la force armée, par le biais d'une flotte, afin de mettre fin aux actes de piraterie dont se rendaient coupables leurs descendants depuis Lusance. Par la suite, et afin de préserver la mer Océane d’exactions nouvelles, le roi Hactorel VI le Bel a annexé l’île, y fondant la ville de Varennes, début de la civilisation de cette île auparavant sans réelles bonnes mœurs. C'est ainsi qu'ont pénétré le droit et la foi syiste en cette île. Depuis lors, l'île est officiellement belondure et le jurisconsulte et magistrat de l'ancien parlement de Rex Xivit, Hactorel-Constantine de Porhoët, a consacré notamment un tome de son Manuel pratique à l’attention des dépositaires de la justice en vue de l’application de la règle bonne et juste en toute circonstance et en tout point du monde syiste, à l’application du droit sur l’île de Sorabe. En raison de la Grande Révolution qui a secoué le royaume et fini par laisser place à l’Empire, l’île de Sorabe a fini par faire sécession, de fait, en 2575, malgré les nombreuses batailles terrestres et maritimes, sans pour autant se dire indépendant. En effet, il faut attendre 2678 pour que le premier « prince-amiral de Sorabe » déclare l'île comme étant indépendante ! Tente-six ans plus tard, l'Empire de Belondor n’a jamais reconnu la Principauté de Sorabe comme État, ni Lusance comme capitale de l’île et considère toujours cette dernière comme étant une dépendance territoriale. Dès lors, l’île de Sorabe est au moins une zone exclusive sinon une zone conflictuelle interne à l’Empire de Belondor et qu’en cette espèce, toute intervention diplomatique ou militaire étrangères doit légitimement être considérée comme une ingérence territoriale. C'est le cas de votre traité...

Un blanc laissa la place à la logorrhée impériale. Sa Majesté conclut par ces mots :

- Le Belondor n'en veut pas au Crasselande d'avoir vu en la Sorabe un moyen d'affaiblir l'Empire dans le but de recouvrer une partie de ce qu'il considère comme étant son territoire national irréductible. Nonobstant, et puisque le Belondor est prêt à faire un geste à l'égard du Crasselande en acceptant de renoncer à une partie de l'ancienne Hollyade alors que rien ne l'y obligeait, il pourrait être bienvenu que vous fassiez de même en dénonçant le traité que vous avez signé avec la Sorabe.

De nouveau l'Empereur avait consulté les deux grands dignitaires de l'Empire situés à ses côtés. Cette fois-ci, les exigences crasselandaises se faisaient par trop important en retour des concessions effectuées par l'Empire de Belondor. Non seulement, une portion non négligeable du territoire devrait être cédé, mais il n'y avait aucune garantie que le Crasselande respecterait sa parole donnée quant au non-renouvellement de son accord avec la Sorabe dans deux ans. C'était un accord gagnant-perdant, en définitive. Gagnant pour le Crasselande qui, sans conflit et sans rien céder, récupèrerait ses terres ; perdant pour le Belondor qui, au nom de la sauvegarde de la paix continentale, cèderait tout, jusqu'à l'honneur. Ce marché n'était pas acceptable. Néanmoins, l'Empereur souhaitait communiquer le fond de sa pensée à ses interlocuteurs en restant respectueux, de manière à montrer que, s'il était fort peu probable qu'un accord intervienne désormais, la porte de la négociation restait entrouverte à l'avenir... voire, qui sait, au dernier instant de ce sommet :

- Excellence, nous comprenons parfaitement que vous ne soyez pas totalement libre de vos mouvements en ces négociations bilatérales visant à résoudre nos contentieux territoriaux. Nonobstant, vous comprendrez aisément qu'en tant qu'Empereur de Belondor, nous nous faisons fort de défendre l'intégrité, l'honneur et la grandeur de l'Empire et, in fine, ses intérêt. Or, il nous apparaît que l'équité de l'accord que vous nous proposez est par trop tendancieuse et qu'il ne nous apparaît pas possible de le ratifier sans trahir le serment que nous fîmes à notre arrivée au trône voilà plusieurs années déjà.

L'Empereur venait, diplomatiquement, d'opposer une fin de non-recevoir aux propositions crasselandaises. Pour ne pas froisser définitivement son interlocuteur, il lui fallait néanmoins continuer à expliquer ses positions, lesquelles n'allaient certainement pas plaire aux Crasselandais :

- Votre Excellence, sachez que nous restons ouvert à toute proposition de bon sens et équilibrée. Nous ne doutons pas qu'un accord entre nos deux États soit possible. Mais le préalable a tout accord contient la résolution de la question sorabe. Comme nous vous l'avons dit, c'est une terre belondaure qui a, en toute illégalité, fait sécession. De plus, les pseudo-autorités de cette île, agissant en son nom sans aucun respect des convenances, ont commis de nombreux crimes sur les mers, notamment contre nos alliés zollernois. Nous entendons réparer ce double affront de la sécession et de la piraterie maritime. Il ne tardera pas le jour où nous interviendrons, conjointement avec nos alliés, pour que la Sorabe cesse ses pérégrinations et enfantillages et que l'ordre de l'Empire y soit rétabli. C'est pourquoi, afin d'éviter l'embrasement de l'ensemble du continent pour une bande de voyous qui tueraient père et mère si l'occasion leur en était donnée de piller un navire, nous souhaitons que le Crasselande dénonce le traité qu'il a signé avec la Sorabe.

L'Empereur sentait que ce qu'il venait de dire n'allait vraiment pas plaire au président de la Semi-République...

Son Excellence Calpunien, Archichancelier et Grand-Electeur de l'Empire s'activait en coulisse ; s'il laissait à Sa Majesté impériale le soin d'être la voix officielle des négociations, le grand dignitaire ne perdait pas une miette des échanges et s'affairait à trouver une solution au conflit belondo-crasselandais.

La dernière proposition du président Meister semblait lui convenir, bien qu'il la reçue avec flegme. Comme il le faisait depuis le début du sommet, il adressa un morceau de papier à l'attention de Sa Majesté Nabelnine II ; le message indiquait son avis favorable.

L'Empereur avait reçu le billet de l'Archichancelier et Grand Électeur de l'Empire le duc de Varsalance. Le Connétable et Architrésorier Charles Marksane avait l'air de penser de même que celui-ci. Sa Majesté ne différait pas dans son point de vue, c'est pourquoi elle répondit :

- Excellence, nous pensons que voilà des avancées significatives effectuées de part et d'autre. Vous comprenez notre position, laquelle est légitime. Nous comprenons la vôtre, laquelle est parfaitement logique. Voilà donc ce que nous vous proposons afin que chacun puisse y trouver son compte. Les navires de commerce des deux États auront la possibilité de mouiller dans nos ports respectifs pour y faire escale. Le Belondor reconnaît les frontières nord du Crasselande et s'engage à refuser d'appuyer les revendications russlaves sur le Nord-Crasseberg. L'Empire de Belondor, de manière à assurer sa sécurité et à rétablir l'ordre, est légitime à faire passer sous son contrôle les terres en anarchies situées entre nos deux États. Par ailleurs, en échange de l'introduction d'un article assurant l'Empire que le Crasselande n'interviendra pas au secours de la Sorabe en cas d'intervention militaire de la part du Belondor, n'y renouvellera pas son bail et dénoncera le traité conclu avec celle-ci, nous rétrocédons la ville historique de Crassenheim et ses alentours immédiats, débarrassées par ailleurs des populations belondaures, anciennement hollyadiennes, y vivant ; le ministère de la Guerre se chargera de leur déplacement. Lorsque le traité avec la Sorabe aura effectivement été rétrocédé et, suite à une période transitoire d'un mois afin de procéder à l'évacuation des populations anciennement hollyadiennes et désormais belondaures y vivant, le reste du territoire de l'antique cité de Crassenheim sera rétrocédé au Crasselande. Bien entendu, de manière à éviter tout regain de tension entre nos États, notre accord doit prévoir l'échange d'ambassadeurs permanents entre nos deux nations. Sur cette base, nous pensons que c'est la voie de la sagesse et de la civilisation qui triompherait.

L'Empire de Belondor et la Semi-République du Crasselande étaient donc parvenus à trouver un terrain d'entente. Leurs contentieux territoriaux étaient aplanis. La guerre, qui se serait avérée absolument dévastatrice pour la civilisation, puisqu'elle aurait entraîné, par le jeu des alliances, presque l'ensemble des nations du Continent Nord, n'aurait pas lieu cette fois... il ne fallait pas non plus oublier que d'autres conflits opposait l'État crasselandais au Saint-Empire d'Edoran et au Grand-duché de Zollernberg. Répondant à la sollicitation du président du Crasselande, l'Empereur répondit :

- Votre Excellence, nous sommes heureux de voir que nous sommes parvenus à un accord qui sauvegarde la paix dans le monde. Nous attendons donc la proposition de traité présentée par vos services suite à l'accord que nous avons trouvé. Vos services les transmettrons à son Excellence le Connétable et Architrésorier de l'Empire, monsieur Charles Marksane, ici présent.

Il tendit la main en direction du personnage assis à sa droite, avant de continuer en direction de la délégation étrangère :

- Votre Excellence, madame. Nous espérons que ce sommet est le point de départ d'une relation plus apaisée entre nos deux nations et que nous pourrons construire à l'avenir une relation d'échange fructueuse. Soyez assurés que l'Empire assurera votre sécurité tout au long du parcours jusqu'à Ecosient.