Rencontre avec l'Empereur

L'Empereur avait travaillé un entier dossier de politique intérieure que lui avait présenté l'Architrésorier Erasmus Nerym, à propos du passage à l'étalon or du sesterce, la monnaie de l'Empire de Belondor, et ce toute la matinée. Une heure avant l'entrevue prévue avec le légat d'Abalecon, Sa Majesté avait cessé de travailler afin de s'apprêter et de revêtir ses habits de réception aidé des valets de chambre. Un uniforme de général de la Garde impériale auquel serait affublé le grand cordon de l'Ordre de l'Aigle ferait assurément bonne impression, estimait-il. À dix minutes de l'heure donnée, son secrétaire particulier Charles Degaulle se fit annoncer. Sa Majesté le regarda. Il avait les traits tirés, semblait fatigués au possible, mais jamais ne se plaignait. Il dit à Nabelnine II :

- Votre Majesté, Son Excellence madame le légat d'Abalecon est arrivée.

Sa Majesté ne répondit que par un signe de tête, avec un léger sourire, sans pour autant congédier son secrétaire particulier. Âgé de plus de cinquante ans désormais, celui-ci avait également été secrétaire particulier de Nabelnine I^er, durant plus de quinze ans. C'est pourquoi l'Empereur lui dit :

- Dites-moi, Degaulle. Avez-vous déjà pris des vacances ?

Le secrétaire particulier regarda avec incompréhension l'Empereur. La question lui paraissait véritablement saugrenue. Il se contenta de répondre :

- Le service de Votre Majesté ne prend pas de vacances.

Nabelnine II se contenta de sourire et lui dit alors :

- Si vous le dîtes... allez informer Son Excellence que nous descendrons sous peu.

Sa Majesté termina de se préparer puis se dirigea vers le Salon Brostilon, ainsi nommé pour honorer sa victoire éclatante et définitive contre le Matnal lors de la Grande Guerre d'Occident. Lorsqu'il pénétra dans le salon, un huissier déclama :

- Sa Majesté Très-Syiste, Empereur de Belondor, Protecteur de Nouvelle-Argentorate, Nabelnine II de Belondor !

Le légat abaleconien, qui était une femme, était accompagné de deux autres personnes de sa délégation. Son Excellence le Connétable de l'Empire, marquis de Balincourt et maréchal, Archibald de La Villejégu, était déjà présent. Lorsque l'Empereur entra, celui-ci s'inclina selon le protocole, tandis que Sa Majesté s'avançait vers la représentante abaleconienne. Elle était jeune et d'une grande beauté ; Nabelnine II appréciait grandement ses cheveux blonds entrelacés. Jamais il n'avait vu une telle coiffure et ce n'était pas sans le charmer. Il lui fit un baise-main et lui dit :

- Nos hommages, votre Excellence. Nous espérons que vous avez fait bon voyage depuis votre lointain Empire et que vous n'avez pas trop le mal du pays...

Lui indiquant un fauteuil où s'asseoir alors qu'il s'asseyait lui-même, Sa Majesté attendit la réponse de son interlocutrice, laquelle aurait à lui présenter les motifs précis de sa venue et donc à débuter les négociations.

Le secrétaire particulier de l'Empereur prit le cadeau de l'Empire d'Abalecon et le transmis à Sa Majesté. L'Impératrice Natacha avait visiblement décidé de mettre les petits plats dans les grands dans le but de séduire Sa Majesté Très-Syiste. Les tapisseries abaleconiennes, pour fort éloignées dans leurs motifs et représentations de la culture belondaure imprégnée de syisme depuis des millénaires déjà, avait ce quelque chose de majestueux qui était la preuve de la grandeur de la civilisation de ce puissant empire de l'est. Voilà plus d'un an maintenant, que le Belondor et Abalecon n'avaient eu de relations, si ce n'est dans ce congrès permanent de diplomates qui s'étaient déroulé plusieurs mois durant au coeur même de l'océan. Les deux États avaient alors appris à se connaître – à s'apprécier même, sans pour autant concrétiser cela formellement. Le moment semblait être venu désormais. Remettant les tapisseries offertes gracieusement par les Abaleconiens dans les mains de Charles Degaulle, l'Empereur dit :

- Nous remercions infiniment Sa Majesté l'Impératrice d'Abalecon pour ce présent à nulle autre pareil.

Il fit un signe de la main à un des valets qui s'approcha alors avec un coffret à la main :

- Sa Majesté, nous l'imaginons, saura apprécier ce que nous lui offrons en retour...

Il s'agissait d'un torque, certainement fabriqué par les ancêtres des Belondaures, il y a plusieurs siècles. Le style était en effet celui de l'Empire méridien qui avait existé il y a deux mille ans environ. Fait d'or et serti de rubis, il était estimé par les joailliers de l'Empereur à plus de deux cents mille sesterces. Une fortune ! Alors que le maréchal de La Villejégu lui remettait alors les lettres de créance de l'ambassadeur Sélèna Hétèis Czisìmilogé. Ayant lu celles-ci, l'Empereur, voyant par ailleurs que le présent faisait son petit effet, continua, sans se départir de son léger rictus qu'il arborait alors en de telles occasions :

- Nous accusons réception de vos lettres de créance, Excellence, et les considérons comme valides. Continuons, dès lors, si vous le voulez bien.

Sa Majesté attendait de la délégation abaleconienne qu'elle détaille les buts de sa visite, c'est-à-dire, qu'elle précise quelles étaient ses intentions quant à la volonté d'Abalecon de signer un traité ce reconnaissance mutuelle avec l'Empire de Belondor.

Écoutant attentivement les propos du légat abaleconien, l'Empereur se remémora les rapports de Bernard de Vrillet, son diplomate au congrès permanent de l'Archipel, datant d'il y a plus d'un an, avant la fin précipitée de celui-ci et le début de l'autarcie diplomatique de l'Empire d'Abalecon. Il y était écrit que l'Empire d'Abalecon apparaissait comme « droit » et « vraisemblablement fiable », « sans double discours ». Un de ces rapports diplomatiques – adressé au ministre des Affaires étrangères qui en faisait copie pour le Connétable, lequel rendait lui-même un rapport oral à Sa Majesté en sus de la version écrite – poursuivait même en affirmant qu'il « serait envisageable (...) d'approfondir cette prise de contact entre l'Empire d'Abalecon et [l'Empire de Belondor] de façon à officialiser nos relations ». Nabelnine II étudiait tous les dossiers méthodiquement et il veillait à se souvenir de chacun. Sa Majesté souriant à son interlocutrice dit donc :

- Les retours de notre diplomate à ce congrès avaient été très positifs concernant l'Empire d'Abalecon. Nous nous réjouissons que la même impression soit ressortie de nos échanges de votre côté. Nous sommes par ailleurs très touchés que votre maîtresse ait choisi notre Nation pour sortir de l'isolement diplomatique dans lequel était votre pays depuis un an. Soyez certaine, Excellence, que les espoirs de l'Impératrice ne seront pas douchés. L'Empire de Belondor accueille avec joie un représentant de l'Empire d'Abalecon sur son sol !

Ouvrant de façon paternelle ses bras, Sa Majesté joua de son sourire. Assurément, les deux pays étaient forts éloignés culturellement, mais l'Empereur Nabelnine II souhaitait diversifier le plus possible les relations du Belondor afin de ne pas faire dépendre la grandeur et la puissance de l'Empire d'un seul État. Or, Abalecon pouvait être une carte supplémentaire dans cette optique. Il continua donc :

- Nous souhaitons également approfondir nos relations avec l'Empire d'Abalecon que nous estimons susceptible de devenir un partenaire d'envergure et stable, en lequel nous pourrons avoir confiance à l'avenir.

Marquant une pause, Nabelnine II reprit :

- Quelle est donc le contenu que votre maîtresse souhaiterait donner au traité ?

L'Empereur lut l'ensemble des articles du traité. Celui-ci était court, simple et souple. Il lui paraissait satisfaisant et il s'en contentait en conséquence, alors même que l'Empire d'Abalecon et l'Empire de Belondor apprenaient à se connaître. Or, pour y parvenir, il fallait pouvoir commencer sur de bonnes bases saines en de pareils cas et ce traité permettrait assurément de remplir ces conditions. C'est ainsi, alors même que Nabelnine II transmettait au Connétable le texte du traité, que l'Empereur n'attendit pas l'avis de celui-ci pour répondre :

- Nous nous satisfaisons totalement du texte de ce traité qui correspond à nos attentes et, je l'imagine aux vôtres. Notre souveraineté est préservée ainsi que la possibilité future de coopérations entre nos deux États. Avançons pas à pas dans la voie d'une collaboration fondée sur une coopération qui prend acte de nos complémentarités potentielles plutôt que de ne sauter des étapes au risque de nos brûler les ailes.

Le Connétable approuvait d'un signe de tête, visiblement en phase avec les propos de Sa Majesté sur la question. Il est vrai que, de toute manière, il n'avait pas vraiment le choix puisqu'il n'était que l'exécutant des volontés de l'Empereur. Continuant, Sa Majesté dit :

- Nous souhaiterions néanmoins envisager un article sur la possibilité d'une réunion ou conférence bilatérale en cas de conflit de quelque nature que ce soit entre nos deux nations. Si cela vous convient, naturellement.

L'Empereur sourit à la représentante de l'Empire d'Abalecon. Le Connétable de l'Empire était justement en train de travailler à la rédaction de cet article. Lorsqu'il il l'eut fini, il le transmit à l'Empereur qui le lut avant de dire :

- Bien que la forme en fut retravaillée, nous pensons que cette version vous conviendra. Il vous restera à l'adapter à vos langue et calendrier.

L'Empereur le rendit au Connétable qui transmit le texte à la représentante abaleconienne :

Traité d'Amitié et d'Entente établi entre l'Empire d'Abalecon et l'Empire de Belondor a écrit:

L'EMPIRE D'ABALECON,
L'EMPIRE DE BELONDOR,
Représentés par,

- NABELNINE II, par la grâce de Dieu, Sa Majesté Très-Syiste, Empereur de Belondor, Protecteur de Nouvelle-Argentorate, etc.,
- Archibald de La Villejégu, marquis de Balincourt, maréchal d'Empire, Connétable de l'Empire,

- NATÀŠA, par la volonté de Simà, Impératrice d'Abalecon, Souveraine des Souveraines, Paire-Souveraine de Stravà, Princesse d'Ardèal, Grande-Duchesse de Litzebourg, Souveraine du Gazdàjegot, Protectrice du culte siméen, etc.,
- Sélèna Hétèis Czisìmilogé, paire d'Empire, en qualité de représentante extraordinaire et plénipotentiaire de l'Empire d'Abalecon en Belondor,

Désireux de nouer des liens d'amitié et de coopération ;

Réaffirmant leur attachement au respect mutuel de l'intégrité de leurs territoires respectifs ;

Convaincus de leur responsabilité commune pour l'établissement de liens étroits et fructueux entre eux ;

Sont convenus de ce qui suit :

Article I – L'Empire d'Abalecon et l'Empire de Belondor reconnaissent mutuellement leur existence, leurs territoires et leur entière souveraineté sur ces derniers. Ils reconnaissent également la légitimité de leurs gouvernements respectifs et s'engagent à ne jamais agir à l'encontre de ces derniers ni à s'ingérer dans leurs affaires, sans commettre d'acte de forfaiture susceptible d'entraîner la dénonciation du présent traité.

Article II – L'Empire d'Abalecon et l'Empire de Belondor réaffirment par le présent traité leur volonté de créer entre eux une relation basée sur la confiance, l'entente et l'amitié.

Article III – Pour ce faire, les parties tiennent des consultations régulières en vue d'assurer le développement de leurs relations bilatérales. Elles procèdent à l'envoi d'ambassadeurs et informent régulièrement leurs interlocuteurs de l'actualité de leurs Nations respectives. Chacune des parties s'engage à accueillir, dans les meilleures conditions et dans le respect de sa législation, l'ambassadeur envoyé par l'autre partie.

Article IV – Le présent traité ouvre la possibilité pour les deux parties d'entamer des coopérations bilatérales dans les domaines qu'elles jugeront utiles sans toutefois que ces coopérations ne portent atteinte à leur souveraineté respective.

Article V – En cas de conflit de quelque nature que ce soit entre les deux parties, celles-ci s'engagent à réunir, au choix, une conférence diplomatique de leurs représentants, ou un sommet bilatéral des Chefs d'États, afin de parvenir à un accord. En cas d'échec, nulle partie n'est alors tenue de suivre le présent traité et chacune est autorisée à le dénoncer.

Article VI – Le présent traité sera soumis à ratification, selon les modalités propres à chacune des parties, et entrera en vigueur dans les trente jours qui suivront celle-ci.

Fait à Elbêröhnit, le 19 Sevan 2715, en deux exemplaires, les deux textes faisant foi.

Signatures