L'Union des modérés, premier parti de l'Empire

L'Archichancelier de l'Empire avait fini par couper sa barbe pour fêter la victoire. L'Union des modérés était parvenue à un résultats des plus honorables puisqu'elle avait remporté 71 sièges sur les 147 à pourvoir. À peine moins de la moitié diraient les rabat-joie mais tout de même 12 de plus que pour les précédentes élections. C'était pour fêter cette sensible progression, qui avait d'ailleurs fait souffrir le Parti impérial qui ne disposait désormais que de 14 siège, qu'Etzel Calpunien avait invité tous les acteurs de cette victoire à participer à un dîner au sein de l'hôtel particulier où était hébergé le siège du parti.

Il décidé donc d’adresser à tous les sénateurs-élus une invitation officielle.

____________________ INVITATION A UNE SOIRÉE DE GALA POUR FÊTER LA VICTOIRE DE L'UNION DES MODÉRÉS AUX ELECTIONS ÉLECTORALES 12 ANTONINE 2715 ____________________ Messieurs, Le Peuple a permis à l'Union des modérés d'être le premier parti politique de l'Empire en élisant 71 des nôtres les 6-7 Antonine derniers. Il convient dès lors de pouvoir nous rencontrer prestement afin de faire la connaissance des uns et des autres tout en fêtant notre victoire. Vous êtes conviés dès dix-sept heures, le 12 Antonine prochain, pour assister au discours du Président de l'Union des Modérés, Son Excellence Etzel Calpunien de Varsalance, qui sera accompagné l'Orchestre symphonique d'Elbêröhnit qui interprétera la Ballade de Calystée et l'Ode du jour neuf d'Aurélian Montilet. S'en suivra un dîner de gala conçu par le cuisinier en chef de L'Oie Grasse. Vous retrouverez le détail du menu joint à l'invitation. Enfin, l'Association des Zamateurs de Zigares Zollernois initiera ceux qui le souhaitent à la dégustation de cigares et d'herbes à fumer, autour d'un verre de spiritueux. VIVE L'UNION DES MODÉRÉS, VIVE L'EMPEREUR, VIVE L'EMPIRE.

Le siège de l'Union des modérés commençait à se remplir peu à peu de tous les sénateurs et cadres du parti. Etzel s'était pour l'heure abstenu de descendre dans la salle de réception, s'occupant de régler un problème de corruption lié à la Préfecture de Varsalance. S'il pensait récupérer plus de sièges, il lui apparaissait clairement que le vote avait été biaisé par quelque partie intéressée aux élections et qui avait été intéressé par le résultat.
Ses conseillers mettaient bien volontiers la faute sur le Rassemblement conservateur voire sur le Parti impérial qui avait obtenu un fauteuil. Dans l'esprit général, il ne pouvait pas être question que le peuple ait décidé de n'élire que 7 sénateurs sur les 11 au profit de l'Union des modérés. Pour autant, le président du parti ne pouvait plus désormais intervenir sur ce point ; il s'en souviendrait pour 2717 et ferait en sorte de s'assurer les 11 sièges de Varsalance, même à y laisser sa cassette.

Au bout d'un temps relativement long, il descendit donc jusqu'à la salle de la réception où tout le monde l'attendait désormais. L'Archichancelier de l'Empire se saisit d'une coupe de champagne et rejoignit le fond de la pièce qui donnait sur les jardins. Machinalement, tout le monde se tut, lui laissant le loisir d'intervenir.

" Messieurs les sénateurs, chers collègues,

Je suis très heureux de vous retrouver aujourd'hui en aussi grand nombre. Avec 71 sénateurs élus ou réélus, nous faisons de l'Union des modérés le premier parti de l'Empire et avons démontré que la politique n'était pas une question de coups bas et d'injures. Nous avons vu au cours des ces élections quels sont les mauvais syistes, ceux qui refusent la philosophie et le débat et se contentent de propos haineux et lâches.

Désormais, votre mission, notre mission, va consister à créer un climat favorable à l'évolution de notre pays et à l'applicabilité de notre programme. Tout le monde sait que le Sénat n'est pas une cour parlementaire, pourtant ses prérogatives sont aussi diverses qu'importantes. Je compte donc sur votre engagement, votre détermination et votre abnégation pour faire honneur au parti que vous représentez et aux personnes qui nous ont accordé leur confiance.

Votre exemplarité dans toute vos actions démontrera que nous n'usurpons pas notre place et permettra de la conforter lors des prochaines échéances. Cette mise en garde concerne chacun d'entre nous et je sais que vous veillerez les uns sur les autres pour éviter tout écart malheureux.

Mais pour l'heure, trinquons et fêtons cette victoire comme il se doit ! "

Sous les applaudissements et les bravos, l'orchestre se mit à jouer les compositions qui lui avaient été commandées.

Tandis que l'ensemble des sénateurs élus, réélus ou nommés, applaudissaient à tout rompre dans la salle, Henri-Maxime cherchait à approcher le plus rapidement possible le chef du parti. Sa canne -- qui avait pour mission de frapper les tibias et faire de la place -- le guidait comme s'il était aveugle et lui permit de se frayer un chemin assez rapidement. Arrivé à hauteur d'Etzel qui venait de prononcer un discours éclair aussi brillant que court, le sénateur de Veledris le salua.

Comme d'habitude vous avez su toucher le coeur de tous ces hommes en quelques mots seulement. Je suis sûr qu'ils auront compris là où vous souhaitiez en venir et l'idée que vous vous faites de notre mission.

Ce n'est ni l'heure ni le lieu mais des connaissances m'ont informé de la situation au sein de la Préfecture de Veledris. Le Parti impérial n'a que peu digéré sa cuisante défaite et des propos de plus en plus haineux visent nos candidats et nos soutiens. Henri-Maxime fit la moue tout en portant le regard sur ses chaussures avant de ré-hausser son visage vers celui de l'Archichanceier. Je ne sais pas ce qu'il convient de faire si ce n'est de ne pas répliquer mais je crains que la situation ne s'accentue. Nous savons aussi bien l'un que l'autre que le Grand Electeur est loin d'être connu pour son intelligence, s'il manigance quelque chose, il nous faudrait le découvrir avant que le mal ne soit fait.

La situation semblait embarrasser Henri-Maxime. Il était lui-même sénateur élu de la Préfecture de Veledris et ne pouvait donc voir que d'un oeil mauvais les agissements puérils et pervers du Parti impérial.

Le président de l'Unimod savait que le Partim semblait obnubilé par la vendetta. Pourtant, il affichait une confiance déconcertante et ne craignait pas un seul instant pour les sénateurs élus ou les membres du parti. A la vérité, les affaires de fraude ainsi que l'argent déboursé par l'Union le préoccupaient plus puisque les caisses, étaient plus vides que pleines. L'Archichancelier posa sa main droite sur l'épaule du Gouverneur de la Banque impériale et répondit d'un ton paternaliste, un sourire optimiste à la commissure des lèvres.

" Soyez rassuré, jamais l'Union des Modérés n'aura à craindre le moindre geste porté contre elle. Le Ministère de la Police générale... et le cas échéant celui de la Justice, sauront répondre de façon proportionnée. Je fais autant confiance à nos sénateurs qu'à nos fonctionnaires pour savoir agir avec intelligence et mesure.

Pour l'heure, profitez de cette soirée pour vous détendre Henri-Maxime. Vous avez mené une campagne incroyable et cette victoire est en grande partie la vôtre.

Nous nous revoyons plus tard dans la soirée si vous le voulez bien, j'aimerais aller m'entretenir avec quelques-uns de nos nouveaux élus. "

Après un dernier sourire à destination de son secrétaire, Etzel Calpunien s'éloigna, serrant derechef quelques mains, tout en allant vers ces jeunes sénateurs, qui découvraient pour la plupart, les lendemains de victoire.

HMDP opinât du chef face aux déclarations du président de l'Union. Le Grand-Électeur, malgré sa sottise exacerbée n'oserait jamais s'en prendre à quiconque sans risquer gros pour sa place et son parti. D'autant qu'en interne on lui réclamerait sûrement sa tête en guise de protestation face à une campagne bâclée et à des résultats désastreux pour le parti extrémiste. Henri-Maxime était soulagé de ne pas avoir voulu s'engager dans ce parti lorsqu'il était jeune et avait préféré cultiver l'originale idée d'un Empire démocrate sinon plus libéral, comme on ne l'entendait pas à l'époque toutefois. Les choses se seraient sûrement passées autrement s'il y avait été mais pour l'heure, il se satisfaisait de voir un pareil parti revendiquer l'absolutisme de droit divin tout en cherchant à se servir du Sénat comme d'un chambre parlementaire ; Pauvres idiots se plaisait-il à dire en parlant des cadres du Partim à l'origine du programme.

L'orchestre avait fini de jouer sous les applaudissements nourris de la salle. Henri-Maxime s'était joint au reste des convives en tapant sa canne sur le marbre du sol. Il avait laissé l'Archichancelier de l'Empire vaquer à ses occupations et ne perdrait assurément pas son temps au buffet. Dans son esprit calculateur, le haut-fonctionnaire zélé ambitionnait désormais d'être à la tête des sénateurs de l'Unimod et peut-être un jour revendiquerait-il la présidence du parti. Mais pour l'heure, il ne serait seulement question que de jauger ses chances et assurément pas de trahir Etzel Calpunien, qu'il appréciait pour ses nombreuses qualités d'homme d'Etat.

Si le président de l’Unimod avait coupé court la discussion avec le comte de Mavelles, c’était car un proche collaborateur venait de lui indiquer d’un geste de main une tête inconnue. Non content de voir que le nombre de sénateurs élus ou réélus était important, voilà qu’il lui était permis de rencontrer les éléments qui compteraient assurément pour les deux années à venir. Il savait le parti hétéroclite et malgré l’unité affichée, certains tendaient vers le conservatisme tandis que d’autre étaient héritiers des idées modérées voire libérales de l’époque de Nabelnine I^er. A dire vrai, cette situation gênait considérablement Etzel ; bien sûr, l’Union des modérés comptait en son sein toutes les personnalités qui ne se retrouvaient pas dans les autres partis, mais les sensibilités différentes pouvaient occasionner quelques remous en interne. Tel un berger, le duc de Varsalance devait tenir son troupeau, ne pouvant compter que sur quelques fidèles compagnons pour l’assister dans sa tâche.

Alors qu’il se frayait un chemin parmi les membres du parti, il s’arrêta à proximité d’un homme légèrement plus petit et portant que lui, arborant une barbe épaisse. Ce dernier ne semblait pas l’avoir vu, ce qui rajouterait d’autant plus à l’effet de surprise voulu. Vraisemblablement satisfait de sa manigance, le président aborda l’homme sur un ton chaleureux.

" Monsieur le sénateur Villard ? Je suis ravi que l’on vous ai laissé venir jusqu’à Elbêröhnit, je craignais que votre employeur vous refuse d’abandonner vos camarades mineurs. J’espère que le voyage ne vous aura pas semblé trop long et que vous ne trouvez pas la soirée pénible. "

Le duc de Varsalance arborait un large sourire, presque insolent. Il faisait comme s’il connaissait déjà tout de son interlocuteur sans même avoir pris la peine de se présenter. Patientant quelques instants, il poursuivit d’un ton plus solennel.

" Je ne me suis pas présenté, je vous présente toutes mes excuses. Son Excellence Etzel Calpunien de Varsalance, Archichancelier de l’Empire et aussi président de l’Union des modérés. "

Puis, toujours sans laisser à Auguste le temps de répondre, il renchérit de plus bel.

" Toutes mes félicitations pour votre élection. Cela démontre deux choses : la première est que la Préfecture de Veledris ne peut plus être considérée comme conservatrice et la seconde est que la politique est désormais ouverte à tous, y compris à de jeunes cadres ouvriers, ce qui me ravit d’autant plus. "

Etzel, d'excellente humeur, se mit à rire aux propos du jeune sénateur élu.

" Une liberté fondamentale, effectivement. Mais certains l'oublient parfois et profitent de leur pouvoir pour dicter leurs propres fondamentaux. "

L'Archichancelier de l'Empire se redressa un instant, le bruit de vaisselle que l'on casse ayant soudainement imposé le silence avant que le brouhaha revienne.

" La préfecture de Veledris est en effet une heureuse surprise. Nous ne nous attendions pas à réussir un tel résultat alors même que le Grand Électeur Batignoles faisait campagne auprès des candidats du Parti impérial. Si le mouvement de grève a permis votre élection, comme celle de vos collègues, c'est un signe clair : la population ouvrière remplacera bientôt la vieille aristocratie et les monarchistes de tous bords.

Votre bilan sera votre moyen outil de campagne dans deux ans. Peut-être même, et je vous le souhaite, aurez-vous un destin elbêröhnitois d'ici là. "