Premier Congrès de l'Union des Modérés

Il avait été décidé en début d'année, par MM. Calpunien et de Porhoët d'organiser le premier congrès de l'Union des Modérés, en vue des élections sénatoriales, dans une province qui ne soit pas déjà acquise -- ou en passe de l'être -- à la cause du parti. L'intérêt avait été de trouver un endroit qui puisse accueillir l'ensemble des congressistes et qui permette ensuite d'insuffler les motions du programme partout dans la métropole. Eu égard à ses infrastructures permettant d'accueillir une telle convention et l'équilibre dont disposaient les trois formations dans cette Préfecture clef, Origodes avait été choisie sans autre concurrence sérieuse.

Il fallut trois jours et deux nuits de voyage en train à Henri-Maxime pour rallier le chef-lieu depuis la capitale. Il avait ainsi pu juger des travaux effectués sur la ligne ferroviaire et s'en satisfaire allègrement. Malgré la pénibilité du trajet relativement lent, il s'octroya ainsi suffisamment de temps pour préparer le plus convenablement possible cette première rencontre qui devait avoir leu dans le Palais des Congrès d'Origodes.

Il arriva sur place le 19 Sevan en fin d'après-midi alors qu'une fine pluie radoucissait l'air. Comme quelques congressistes privilégiés, Henri-Maxime avait été convié par un riche donateur de loger chez lui le temps de son séjour. Après un repas et une soirée riche en discussions passée dans une petite dépendance du château où il se trouvait, le Gouverneur de la banque impériale s'entretint avec de puissants et riches acteurs de l'Union des Modérés, dont son hôte. Il convint bien volontiers avec eux de l'importance que revêtait la régénération économique et fiscale du pays à commencer par favoriser l'innovation et la formation des personnels. Par ailleurs, l'un des interlocuteurs, banquier privé d'affaires, souhaitait favoriser -- et c'était une surprise pour tous -- l'épargne !

Certes, mais comment envisagez-vous une telle épargne alors que le petit peuple cherche à subsister ? avant de vouloir bien vivre ne commence-t-on pas par cesser de survivre ? lança un magistrat convaincu de son fait.

- Assurément, cher ami, renchérit le banquier avec un sourire satisfait. Et c'est bien là que l'épargne intervient. Il tira sur sa pipe et s'accorda un instant de réflexion. Si les gens mettent de côté de l'argent à chaque fois qu'ils font une dépense, il se forme pour eux un petit pécule qu'ils auront tout le loisir d'employer plus tard à des fins utiles. Dès lors, c'est en mettant de côté lorsque l'on a peu que l'on apprend par la suite à faire des économies lorsque l'on a beaucoup.

- Et comment épargner lorsque l'on doit investir ? Henri-Maxime semblait intéressé par l'idée avancée.

- L'investissement trouve l'épargne lorsqu'il chasse l'usure. Prenez une banque de crédit au sein de laquelle vous ne favorisez que des projets validés par l'ensemble des associés et des détenteurs de parts. Appliquez-lui un taux de quelques points seulement. Plutôt que de prêter à un taux de quinze ou vingt, vous ne prêtez qu'à un taux de trois ou quatre. Cela suffit à constituer une réserve et à favoriser les prêts. Dès lors, prenez des emprunteurs qui ne s'endettent pas et vous y trouverez d'excellents créanciers. Nulle spéculation, nul mort-gage. "

Son projet s'articulait sur tous les dogmes syistes. S'il empêchait l'usure, il entendait de plus permettre aux consommateurs de ne pas sombrer dans la politique libérale que l'on connaissait en Zollernberg depuis de nombreuses années sans toutefois subir la politique russlave. Un système économique à la Belondaure fut préconisé, s'appuyant sur le développement des ramifications entre corps de métiers afin de supprimer les intermédiaires et de favoriser les prix bas ; de plus, l'idée d'une fixité des prix de certaines matières premières avait été émise, permettant ainsi d'éviter la spéculation sur le prix du blé, des pommes de terre ou de la betterave à sucre.

Satisfait de ces premiers échanges officieux, HMDP se coucha, impatient de vivre le premier congrès de l'Union des Modérés.

Son Excellence l'Archichancelier de l'Empire était attendue à neuf heures du matin au Palais des Congrès d'Origodes pour ouvrir le Premier Congrès de l'Union des Modérés. Contrairement à son estimé camarade de Porhoët, il avait préféré voyager par les routes impériales, n'ayant eu besoin que d'une quinzaine d'heures pour faire le chemin entre la capitale et le chef-lieu de Préfecture. Il avait d'ailleurs décidé pour son retour de faire un saut par Hams-Berg et d'y donner rendez-vous à tous les notables de la région avant de revenir ensuite à Elbêröhnit et de filer dans l'immédiat à Varsalance pour discuter de l'avenir économique du pays et ainsi revigorer son électorat, largement favorable à la cause des Modérés ou du moins, or des clivages partisans, largement favorable à sa personne.
Depuis deux semaines maintenant il avait coupé ses cheveux assez courts et s'était laissé pousser une barbe qu'il n'avait décidé de raser qu'après les élections. Il entendait ainsi incarner un homme nouveau, loin de celui que l'on connaissait jusqu'alors comme un fidèle des Temararien et comme un bureaucrate de premier ordre.

En tout état de cause, « l'Archipolicier de l'Empire » arriva sous un tonnerre d'applaudissements sur la Place de la ville d'Origodes. Cette arrivée triomphale avait été calculée de près par Etzel qui voulait faire oublier son activisme lors de la Guerre de Sécession. Il devait aujourd'hui apparaître comme l'homme du consensus, prêt à donner la main aussi bien aux riches qu'aux pauvres, d'aider les patrons et de soutenir les ouvriers. Il était question pour lui de visiter une usine de métallurgie et un atelier (immense) dédié à la sylviculture. L'intérêt était de s'attirer les voix des ouvriers tout en prenant en considération les efforts nombreux qui étaient ceux des entrepreneurs et des chefs d'entreprise.

Après vingt minutes au milieu des mains tendues, des cris d'encouragements et suite à un discours improvisé pour dire qu'il reviendrait à Origodes sitôt les élections terminées, l'Archichancelier pénétra dans le Palais des Congrès où attendaient près de sept mille congressistes. Tous avaient dû s'acquitter de vingt sesterces pour pouvoir participer aux débats et se proposer comme candidat pour l'un des cent-quarante-sept sièges à pourvoir. Pour les simples spectateurs, il ne fallait s'acquitter que de quelques sesterces voire rien du tout pour écouter les débats depuis les couloirs.

Henri-Maxime se trouvait déjà sur la tribune et avait pour mission de s'occuper d'animer l'ensemble du Congrès. Etzel resterait bien sûr à Origodes mais s'activerait à faire des rencontres et des visites, laissant le soin au Gouverneur de la Banque impériale de s'animer les discussions et de prévoir un projet de motion qu'il validerait en dernier lieu. Après qu'il eut été présenté à la foule, le Président de l'Union des Modérés grimpa à son tour sur la tribune. Après que le calme revint, il s'élança dans son premier discours politique depuis longtemps, les bras levés au ciel comme un chef d'orchestre qui allait lancer une vibrante composition.


" Chers amis, chers collègues, chers camarades de l'Union des Modérés. La joie d'être devant vous qui m'anime en cet instant est immense. Vous voilà, près de sept mille à avoir fait le déplacement jusqu'au Palais des Congrès d'Origodes pour lancer le futur de notre parti : merci ! Aujourd'hui, plus que jamais, nous pouvons apprécier les forces déployées par chacun d'entre nous pour faire de l'Union des Modérés le premier parti de l'Empire de Belondor !

Ce Premier Congrès qui s'étalera sur deux jours à pour but de préparer la politique à venir de notre parti et de nous entendre sur les élections sénatoriales dont l'échéance va très vite arriver. Notre objectif premier est d'arrêter une motion qui servira de support pour la campagne et servira de profession de foi ; nous devrons aussi nous entendre sur les cent-quarante-sept candidats à porter et à faire gagner pour que nous puissions servir l'avenir de notre Nation.

Je compte assurément sur chacun d'entre vous pour participer activement aux débats et échanges qui auront lieu au cours de ces deux jours. Je serai là pour orienter les débats et mener les arbitrages, que ce soit en personne ou à travers mon collègue et ami Henri-Maxime de Porhoët.

Messieurs, discutons, proposons, travaillons, construisons ! L'Union des Modérés a besoin de forces vives et de la réflexion dont chaque individu. Préparons dès à présent le Belondor de demain !

Vive l'Union des Modérés, Vive le Belondor, Vive l'Empire ! "

Vive l'Empereur... Le Président du parti avait oublié la formule et HMDP savait qu'il n'était pas le seul à avoir noté cet oubli malheureux. Cela était-il volontaire de sa part ou l'omission était-elle une sorte de lapsus révélateur du fond de sa pensée ? Le Gouverneur de la Banque impériale ne pouvait en être sûr mais tous savaient quel genre d'individu était Nabelnine II de Temararien. Toutefois, la salle applaudissait à tout rompre et les félicitations fusaient de toutes parts ; ce discours introductif, aussi bref qu'efficace, permettait d'éclaircir la portée sinon la puissance de l'Union des Modérés par son accueil chaleureux.

Henri-Maxime savait que la politique était comme la cuisine et qu'en matière de cuisson parfaite, il ne fallait pas refroidir trop vite le plat faute de voir le soufflet retomber. Il grimpa donc sur le promontoire à son tour et répliqua.

Messieurs, s'il-vous-plait, je vous prie de bien vouloir animer autour de vous la discussion et de mettre sur écrit ce qu'il vous semble important de porter à la connaissance du peuple de l'Empire.

Ce n'est que grâce à vos efforts constants que nous bâtirons l'avenir du pays. N'ayez pas peur de proposer, d'innover et de polémiquer. Nous arrêterons vos premiers éléments de discussion à l'heure du déjeuner et reprendrons une fois la pause culinaire achevée.

HMDP se tut un instant et tonna soudainement avec toute la puissance dont il était capable.

Vive l'Union des Modérés, Vive le Belondor, Vive l'Empereur et Vive l'Empire !

Que diable si d'aucuns relevaient l'oubli de Son Excellence Calpunien ; on ne pourrait toutefois pas dire que l'Union des Modérés se liguait contre Nabelnine II.

Les discussions, entrecoupées de moments de détente et de gastronomie, conduisirent à la nomination de cent-quarante-sept candidats et d'une motion qui servirait de propositions de campagne ainsi que de profession de foi. Ce fut au Président de l'Union des Modérés de remonter une nouvelle fois sur l'estrade et d'interpeller la foule, moins nombreuse que le premier jour, mais toute aussi acquise à la cause du parti.

Après un discours assez long où il était revenu sur l'importance de ces élections, d'appeler tous les hommes majeurs à voter dans les campagnes comme dans les villes pour l'Union des Modérés, " de ne pas hésiter à leur fournir toutes les raisons de le faire ", autrement dit et de façon cachée, de ne pas hésiter à les payer pour aller voter, vint le moment assez long de l'investiture officielle des candidats. La liste était longue mais lue de bout et bout et chaque nom avait le droit à ses applaudissements.

Enfin, comme pour conclure en apothéose, Etzel Calpunien dévoila les douze points clefs qui devraient être défendus au cours de ces élections.

1. Journée de 10 heures pour les hommes (60 heures par semaine), de 8 heures pour les femmes et les enfants (48 heures par semaine), contre 13 et 10 heures aujourd'hui (78 et 60 heures par semaine). 2. Salaire minimum national de 72 sesterces par mois. 3. Droit de coalition pour les travailleurs ; maintien de l'interdiction pour les membres de la Fonction publique d'Empire. 4. Création d’un cadre légal en faveur de sociétés de coopération agricole, ouvrière ou de crédit. 5. Droit à une semaine de congés payés par l’entreprise par année de travail effectué. 6. Blocage des prix sur une liste définie de matières premières : Céréales, lait, bois de consommation, huile (consommation et combustible),... 7. Décentralisation communale, permettant aux villes de moins de 25 000 habitants d'élire leurs maires ; nomination des maires de plus de 25 000 habitants parmi les membres du conseil municipal. 8. Recours systématique au plébiscite lorsqu'un projet de loi n'obtient pas 2/3 des suffrages des sénateurs ; transformation du droit de pétition en référendum d'initiative populaire. 9. Libéralisation du droit de la presse, de réunion, d'association et d'expression. 10. Enseignement public, gratuit et obligatoire de 6 à 12 ans. 11. Œuvrer en faveur de la grandeur et la puissance de l'Empire ; défendre les idéaux de la Grande Révolution à travers le micromonde. 12. Défendre le syisme comme religion d’État et favoriser le missionnariat à travers le micromonde ; conquérir Yrusalem et l’Archipel de Gallice et y établir un protectorat.