Réunion du 5 Sevan 2715

L'Empereur se regarda dans sa glace et se trouva assez élégamment vêtu. Il s'était habillé d'un habit bleu, avec épaulettes dorées, arborant avec fierté et ostentation le cordon de chef souverain et grand maître de l'Ordre de l'Aigle. Il avait également revêtu un pantalon de toile très simple de couleur rouge, avec des chaussures d'un ton noir avec laçage fermé directement dans l'empeigne et la claque cousue sur les quartiers, ce qui constituait une sorte de révolution de style qui ne manquerait pas d'être aperçue. Satisfait de l'ensemble, l'Empereur Nabelnine II entreprit de descendre d'un étage et de se diriger vers l'Aile aldarnorine, et plus précisément le salon Hactorel XI du nom du Monarque rayonnant. C'était en effet le lieu où se déroulaient les séance du Conseil privé, un des organes du Conseil de l'Empereur, avec le Conseil de Guerre et le Conseil d'État.

L'Empereur pénétra dans la salle du Conseil à seize heures pile. Comme le voulait l'usage, l'ensemble des membres du Conseil privé, à savoir les cinq grands dignitaires, le Prince d'Ecosient son cousin (en réalité cousin de son père) et le Prince de Veledris, sept personnes en tout, présenta ses hommages à Sa Majesté impériale lorsque celui-ci fit son apparition, chacun s'inclinant sur son passage et prononçant un « Votre Majesté » en signe de respect et soumission. Pas un ne manquait à l'appel. Le cinquième Empereur de Belondor s'était fait remarquer par son intransigeance sur la ponctualité, ce qui, somme toute, allait bien de soi, sachant à quel point ce jeune souverain d'un peu moins de vingt-quatre ans se montrait autoritaire. Il était le maître, aimait à le montrer et à ce que ceci soit respecté.

Finalement, l'Empereur se dirigea vers son siège avec accoudoirs, légèrement plus grand que les autres, et confortablement matelassé. Celui-ci était disposé en bout de table, comme il était d'usage pour celui qui présida un conseil. Lorsque Sa Majesté se fut assise, les membres du Conseil privé firent de même. L'Empereur prit son temps avant de parler. Tous savaient pourquoi ils étaient aujourd'hui convoqués. Nabelnine II avait reçu en cachette un envoyé aldarnorin afin de négocier de lui-même son mariage et celui de sa sœur, ceci fin Ceronine 2714. Depuis tout ce temps, il avait gardé l'information pour lui. Or, il n'avait averti les membres du Conseil privé que le 2 Sevan au soir, soit voici trois jours. Depuis lors, il le savait, nombre d'entre eux s'étaient contactés afin de rallier tel ou tel à sa position, toutes ces manœuvres s'annulant les unes les autres. Dignement, Sa Majesté s'exprima :

- Messieurs, nous vous saluons. Comme vous l'aurez appris par le plis scellé que vous aurez reçu cet Antodine 2 Sevan dernier, nous avons rencontré il y a plus d'un mois un émissaire de Sa Majesté le Roi d'Aldarnor Vincent II, nous proposant une alliance matrimoniale entre nos deux États. Notre sœur, la princesse impériale Maria-Aurélia serait destinée au Victorin. La sœur cadette du Roi, la princesse Pauline, âgée de 19 ans, deviendrait notre épouse.

Il prit un moment avant de conclure en disant :

- Nous attendons votre loyal avis.

Le Grand Maître de l’Empire, qui n’était pas toujours le dernier informé de ce genre de manigances, ne fut pas vraiment surpris de la manœuvre du roi d’Aldarnor. Vincent II recherchait activement une épouse pour son fils depuis un petit moment. D’ailleurs, personne n’était sans savoir l’effervescence à la Cour d’Aldarnor, les paris avaient été ouverts sur la prochaine reine d’Aldarnor. Cependant, cet « échange » de princesses entre le Belondor et l’Aldarnor risquait de poser quelques petits problèmes, et notamment au niveau religieux : l’Aldarnor était fervente zorthodoxe, et son roi, était Sa Majesté très-zorthodoxe, tout comme l’Empereur était Sa Majesté très-syiste. Vincent II exigerait certainement une conversion en grande pompe de la princesse Marie-Aurélia. Il fallait donc rester attentif, Armand restait dubitatif quant au fait qu’une infante d’Aldarnor daigne se convertir au syisme. Pour autant, Vincent II avait lui-même fait la proposition…

Armand fut le premier à demander la parole, ce que l’Empereur lui accorda.

— Majesté, Altesses, mes chers collègues. Je tiens tout d’abord à réaffirmer mon soutien à Sa Majesté dans son désir de rapprochement avec l’Aldarnor. Voici plusieurs années maintenant que nous construisons une amitié qui me semble solide et réciproquement bénéfique. L’Aldarnor ne peut être qu’une grande nation, puisqu’Aldarnorins et Belondaures ont les mêmes ancêtres. Cependant, Majesté, je tiens également à souligner le fait qui ne vous aura pas échappé que Son Altesse l’infante Pauline est une princesse parfaitement zorthodoxe. L’Empereur de Belondor ne peut prendre pour femme une zorthodoxe ; c’est tout simplement inconcevable ! Il ne peut y avoir d’ambigüité sur le sujet. Si jamais l’infante Pauline devait devenir Impératrice, elle devrait se convertir au syisme. Sur ce point messieurs, je prie le Seigneur que nous ayons tous les mêmes vues d’esprits. Point de concessions sur une affaire si importante ! enfin, c’est là l’humble avis d’un serviteur zélé de Votre Majesté.

Armand se retourna vers l’Empereur, manifestement plongé dans ses pensées, et marqua une légère inclination de la tête, comme pour signifier une fois de plus son allégeance envers lui.

— Ensuite messieurs, la même question se pose dans le sens inverse. Je suis persuadé que le roi très-zorthodoxe exigera la conversion de votre sœur, sire. Dès lors, est-elle en mesure d’accepter un tel sacrifice ?! de renier les très-saintes écritures pour devenir pleinement zorthodoxe ?! car il ne s’agit pas d’une simple façade messieurs, le grand aumônier d’Aldarnor y veillera, soyez en persuadés !

Vous savez tous quel est mon attachement à notre sainte-mère l’Église syiste, et personnellement je n’ai jamais été convaincu par les conversions pour « raison d’État », et d’ailleurs, je ne crois pas cette même « raison d’État » capable de surpasser la vraie foi.

Armand était un de ces conservateurs très pieux, qui croyait réellement en les bienfaits du spiritualisme syiste. Il allait autant qu’il le pouvait à l’église, lorsque sa charge le lui permettait. Impliqué dans la vie de son pays, et notamment dans la vie religieuse, le duc d’Albes n’en restait pas moins favorable à ce double mariage, qui pourrait s’avérer utile pour l’avenir. De plus, l’infante d’Aldarnor était une très jolie jeune femme, intelligente, mais entêtée, « comme tous les Autricum », lui avait rapporté son frère, Maxemine, qui était encore en Aldarnor lui.

Armand avait des nouvelles régulières de la Cour royale d’Aldarnor, justement parce qu’il y avait vécu, il en connaissait les méandres et les rouages, et son frère lui servait en quelque sorte d’espion là-bas. La communication entre les deux hommes était devenue plus aisée depuis la mort de leur père. Une aubaine, Armand avait réussi à obtenir le portrait de la jeune infante qu’il avait demandé à son frère, avant la réunion du Conseil privé. Il le présenta donc, après avoir fait signe au valet qu’il avait averti avant d’entrer.

— Pour donner mon loyal avis sur la question, sire, je suis favorable à ces unions, malgré ma précédente argumentation, je suis persuadé que ces deux mariages pourront être bénéfiques. Cependant, vous êtes le seul maître en ce domaine, sire.

Je tenais, Majesté, à vous offrir ce portrait de l’infante Pauline, copie réalisée à partir du portrait peint par Hyacinthe de Galbérac, le portraitiste officiel de la Cour aldarnorine, il y a quelques mois à peine. On m’avait informé que vous n’aviez jamais eu de portrait de l’infante Pauline, ce que je trouvais fort dommage. La raison d’État et la religion ne font pas tout ! Armand s’inclina légèrement encore une fois, de sorte que son petit sourire fût parfaitement dissimulé.

Le valet entra, avec un portrait de taille moyenne qu’il dévoila, laissant apparaître le visage angélique de la jeune infante.

Portrait de l'infante Pauline:

Cela faisait quelques années que le prince d’Ecosient s’était plus ou moins retiré de la vie publique. Cet effacement s’était accéléré avec l’avènement du règne de Nabelnine II. François-Antonine avait tout abandonné pour ne conserver que sa charge de Grand Veneur de l’Empire. Et ça lui allait très bien. Il était vieux maintenant : il était loin le militaire brillant de ses jeunes années… à présent le prince d’Ecosient vivait de ses rentes – très confortables –, et surveillait son turbulent fils de 25 ans, lui en avait 63.

Le prince d’Ecosient n’était pas un grand partisan de l’Église, ce n’était pas une nouvelle. Pour autant, il vieillissait, alors il avait tendance à être moins radical qu’il n’avait pu l’être au début de sa vie. Quoiqu’il en soit, François-Antonin était favorable à ce mariage, il regardait le portrait avec insistance, la jeune infante était très belle sur la toile, maintenant, rien ne valait une rencontre ! Mais il fallait avouer que la jeune femme avait déjà un ton très impérial… il faut dire que c’était une infante d’Aldarnor. Outre-mer, ils avaient tous ce petit côté hautain : la Maison guérienienne d’Autricum ne manquait pas de prestige, ça ne pouvait qu’être bon pour l’Empire.

Et puis, l’Empereur était en âge de se marier ! il fallait un héritier pour l’Empire, ou du moins, un autre que le prince de Veledris ! Libéral convaincu, François-Antonine était un généreux donateur pour l’Union des modérés. Il était à l’opposé des conceptions ultras conservatrices du prince de Veledris et ne voulait pas voir cet Empire, qu’il avait aidé à construire, passer entre les mains d’un rétrograde.

Le peuple avait besoin de pouvoir se reconnaître dans la famille impériale, un petit roi d’Elbêröhnit renforcerait davantage encore la position de l’Empereur et rassurerait le bon peuple sur son avenir.

Sûr de ses qualités – un très de caractère hérité de ses illustres ancêtres Bordebon –, le prince d’Ecosient pris la parole :

— Sire, Monsieur, messieurs les grands dignitaires, je suis, comme votre collègue M. de Salignac, favorable à ce double mariage. L’histoire nous a montré et nous montre encore que la religion n’est pas une barrière !

Le prince regarda à nouveau le portrait de l’infante Pauline.

— De plus, Majesté, l’infante Pauline semble être une très belle jeune femme, je suis certain que les Belondaures l’adopteraient dès son arrivée. Vous couvririez votre peuple de joie en lui donnant une Impératrice à aimer, sire.

Ensuite, en ce qui concerne Mademoiselle, et bien… il me semble que sa présence à ce Conseil privé aurait peut-être été souhaitable, non ? il est vrai que ce serait une première d’accepter au Conseil privé une femme, mais je pense que cette question ne peut être débattue sans l’assentiment préalable de la princesse, même si vous êtes le maître en ce domaine sire, je gage que vous êtes un souverain suffisamment moderne pour en avoir touché quelques mots à Mademoiselle.

Le prince d’Ecosient était persuadé que c’est ce qu’avait fait l’Empereur.

Déjà le Grand Maître de l’Empire et le Prince d’Ecosient s’étaient exprimés sur la question de savoir s’il fallait unir deux femmes à deux souverains si différents mais pourtant si proches. Le duc de Varsalance, né en Aldarnor et qui avait passé toute sa jeunesse à la Cour du roi Louis XIV le Bien-Aimé connaissait bien les manigances de la Maison guérinienne d'Autricum et leurs espérances. Il savait que l’envoi caché d’un émissaire en Belondor, que les services de l’Archichancelier avaient su appréhender malgré tout, n’était qu’une étape de ce jeu d’énigmes bien plus compliqué.

Son Excellence l’Archichancelier de l’Empire, était pensive dans son fauteuil. Si l’information lui était connue depuis quelques semaines, l’événement n’avait pas marqué sa réflexion. Et désormais, le portrait de la jeune princesse aldarnorine ne l’aidait pas à être des plus objectives. D’aucuns soupçonnaient l’Empereur d’être homosexuel voire d’apprécier la compagnie de jeunes enfants, refuser ce mariage serait l’occasion dont rêveraient tous les opposants à la Maison temararienne pour accréditer un peu plus leurs théories fumistes. Mais Etzel Calpunien savait aussi quel sacrifice cela revêtait pour les princesses belondaure et aldarnorine… Si Dieu avait voulu les faire femme, n’était-ce pas après tout pour servir les destinées plus grandes de la Nation qui les portait depuis toujours ? Le duc de Varsalance ne pouvait s’y résoudre. S’il avait eu la chance de pouvoir s’unir par amour à son épouse, il espérait ne pas être un cas unique et que les arrangements ne se feraient pas contre la volonté de ces deux princesses. À cet effet, l’interrogation du Prince d’Ecosient était plus que légitime aux yeux du modéré qu’était Etzel.

Tiraillé entre la nécessité de rapprocher les deux couronnes et les problèmes manifestes que ces unions pouvaient poser, l’Archichancelier se redressa sur son fauteuil et sollicita la parole d’un mouvement de la main droite.

" Sire, Altesses, mes chers collègues. Je suis persuadé que mariage de Sa Majesté comblera tous nos concitoyens. Cela fait maintenant des millénaires que Belondaures et Aldarnorins avancent côte à côte sans jamais avancer sur le même chemin ; peut-être est-il désormais temps que cela change et que les deux couronnes s’embrassent enfin.

Je sais les enjeux que ces deux unions représenteraient pour l’Aldarnor comme pour nous mais je suis sûr que les intérêts personnels des quatre protagonistes sauront compter et que rien ne sera fait en violation des désirs de chacun. "

L’Archichancelier aurait lui aussi espéré que la princesse Maria-Aurélia participe à ce Conseil privé. Mais le Salon Hactorel XI n’avait jamais accueilli de femme, même sous la forme d’un tableau, et Sa Majesté l’Empereur était tellement rigoriste qu’une évolution en ce sens paraissait inenvisageable.

Le prince de Veledris, Amezzianel-Nabelnine, frère cadet de l'Empereur, ne décollerait pas depuis qu'il avait su que son impérial aîné avait pris de lui-même, sans en avertir personne sinon l'Archichancelier de l'Empire - qui avait la tutelle sur la Police générale - et le Grand Maître de l'Empire - que ces questions concernaient au premier chef en tant que chef de la Maison de l'Empereur, qu'une réunion avait eu lieu avec un émissaire aldarnorin spécialement envoyé pour la question du mariage de Nabelnine II. Il s'agissait tout de même de sa sœur jumelle et il aurait aimé pourvoir être au courant avant qu'il ne prenne une telle décision ! Comment son frère avait-il pu envisager de faire épouser Maria-Aurélien à un zorthodoxe ? Que l'Empereur envisage d'épouser la sœur de Vincent II passait encore, sachant qu'elle devrait indubitablement se convertir pour pouvoir l'épouser. Mais que sa sœur chérie devienne une zorthodoxe, une étrangère donc... C'était inconcevable à ses yeux. Prenant la parole à la suite des premiers, il dit donc :

- Votre Majesté, je ne puis qu'être d'accord avec ceux qui pensent que notre sœur aurait dû être présente à ce conseil, en tant qu'observatrice, sur cette question. Il ne s'agit, en effet, d'une banale union entre deux familles issues de la même religion car vous lui imposez ici de devoir se convertir à une hérésie ! Vous rendez-vous compte de ce que cela représente pour elle, pour son âme et pour la pureté syiste de notre Empire ? Ainsi, si comme tous ici présents je considère que la princesse Pauline fera une excellente impératrice, je conjure Votre Majesté de ne pas obliger sa sœur à se convertir.

Le jeune frère de l'Empereur, malgré son jeune âge, avait été autorisé par ce dernier à siéger pour la première fois au Conseil privé... et il entendait bien donner son avis.

Tous s'étaient exprimés, sinon l'Architrésorier de l'Empire et le maréchal de La Villejégu lui-même, Connétable de l'Empire. Sa situation était assez délicate. En effet, Archibald était connu pour ses positions très marquées sur les bonnes mœurs, la défense de la primauté syiste et, de manière générale, se montrait conservateur. A tel point que, de par sa position de grand dignitaire de l'Empire, il était devenu, à égalité avec le Grand Maître de l'Empire Armand de La Croix de Salignac, le chef du Rassemblement conservateur, ainsi que se nommait la formation conservatrice. Mais il était avant tout un grand serviteur de l'État et, en la circonstance, il savait bien qu'il ne serait que fort dommageable pour la politique de rapprochement des Temararien à l'égard de la monarchie aldarnorine d'envoyer une réponse de refus à l'égard de Vincent II d'Autricum. Il n'était pas possible de prendre le risque de mettre en péril tant d'efforts pour réconcilier ces deux États. Et, objectivement, où serait-il possible de trouver une princesse syiste pour l'Empereur et un prince syiste pour sa sœur cadette, sinon en... Alvion ? C'est en partant de ces postulats que le maréchal répondit :

- Votre Majesté, vos Altesses, messieurs. Je comprends les réticences de certains à un mariage de Sa Majesté avec une personne n'ayant pas été élevée dans les principes de notre foi ; de la même façon que je comprends tout le dégoût que peut inspirer au frère de mademoiselle son Altesse impériale Maria-Aurélia de Temararien et à ceux partageant son avis d'une conversion de cette dernière à la zorthodoxie afin qu'elle puisse épouser l'héritier du trône d'Aldarnor...

Une fois dit cela, il était évident qu'un « mais » allait apparaître :

- ... Mais je ne puis que donner mon accord à cette proposition de mariage. Ce serait une formidable alliance qui serait ainsi scellée entre la couronne aldarnorine et la couronne belondaure et, de cela, il n'est pas possible, à la fois de douter, et en même temps de négliger. Par ailleurs, Sa Majesté a-t-elle d'autres partis en vue ? Je ne crois point, malheureusement. La raison d'État a ses raisons que la raison ignore, paraît-il... nous en avons une preuve aujourd'hui même.

Le maréchal avait soigneusement évité de donner son avis quant au fait de la présence nécessaire ou non de la princesse impériale à cette réunion du Conseil privé. A dire vrai, il ne l'estimait pas convenable, les femmes n'ayant point à se mêler de chose publique. Néanmoins, il avait préféré taire cet avis. On ne sait jamais comment Sa Majesté aurait pu le prendre...

L'Archichancelier de l'Empire n'était guère surpris par les prises de position des différents membres du Conseil. Le Salon Hactorel XI abritait depuis longtemps ces rencontres et elles étaient généralement jouées à l'avance ; chacun défendait ses convictions, tâchait de persuader l'Empereur mais il n'y avait que très rarement un consensus sur les faits soumis... et pour cause ! Chacun défendait sa propre vision de la personne de l'Empereur. Pour certains il était l'Empire, pour certains autres il n'en était que le délégataire.

Etzel avait écouté avec une extrême préoccupation les interventions de l'aile la plus conservatrice du Conseil. Seules manquaient encore les vues de l'Architrésorier, qui suivrait très certainement l'analyse du Connétable.
Le duc de Varsalance trouvait particulièrement hypocrite de souhaiter l'union de Sa Majesté Nabelnine II et de la Princesse Pauline mais de rejeter celle Maria-Aurélia avec le Victorin. Face à une telle contradiction, il était difficile de rester muet ; pour s'empêcher de répondre, l'Archichancelier se tapotait les lèvres avec ses index et majeur droit tout en regardant le plafond. Pour autant, personne ne semblait vouloir prendre la parole pour répondre, ce qui donna l'occasion à Etzel d'intervenir.

" Majesté, Altesses, messieurs, je crois que Son Excellence de la Villejégu a tout à fait résumer la situation. Face aux forces en présence, la raison d'Etat doit primer sur toute considération personnelle. "

Se tournant tout à d'abord vers le Prince de Veledris et le Grand Electeur, il poursuivit.

" Votre Altesse, Excellence, ne pensez-vous pas que la Cour aldarnorine s'est posée exactement les mêmes interrogations et a émis les mêmes réserves que les vôtres ? S'il a été acté par Sa Majesté Vincent II de faire marier la Princesse Pauline à Sa Majesté Impériale, c'est en sachant que cette dernière devrait se convertir.

Mais je vous le demande, quel autre formidable moyen de sensibiliser le peuple au syisme aurons-nous à part disposer d'une future reine née belondaure et convertie en surface à la zorthodoxie ? Je suis persuadé que Son Altesse impériale Maria-Aurélia saura employer tous les moyens pour faire du Victorin, futur Roi d'Aldarnor, un souverain ouvert au syisme.

Tâchons de conserver à l'esprit que l'Eglise zorthodoxe traverse un grand moment de vide et que le Pape Zules demeure reclus dans son Palais sans jamais intervenir, ni en Zollernberg, ni ailleurs dans le monde zorthodoxe.

Pensez-vous qu'un peuple qui se targue de toujours être dans la voilure du Belondor et qui souhaite s'en rapprocher conservera une religion qui n'a aucun sens ni aucune envergure ? Bien sûr que non et tout peut aller très vite grâce au concours de Mademoiselle votre soeur. "

Appuyant son propos d'un sourire chaleureux, l'Archichancelier tandis sa main vers le Grand Electeur tout en mimant une légère moue.

" En outre, Votre Excellence, ne voyez pas dans cette union les prémices d'une dégénérescence de la famille impériale, mais au contraire la poursuite de son rayonnement sur l'ensemble du Micromonde. Si cette union a lieu, je gage que nous fassions de la future Impératrice de Belondor une parfaite et entière syiste et que nous conservions une future Reine d'Aldarnor tout autant syiste, malgré les apparences trompeuses. "

Mais presqu'immédiatement, comme pour tempérer tout ce qu'il venait de dire et s'éviter des reproches ultérieurs, l'Archichancelier conclut :

" Mais cela, Majesté, Altesses, Excellences, ce n'est que mon humble avis. "

Le duc d’Albes avait écouté tout le monde avec attention. Il voyait bien que le dernier intervenant, l’Architrésorier de l’Empire Erasmus Nerym ne voyait pas vraiment ce qu’il faisait ici. Il était resté en retrait pendant tout le temps des débats. Il commença par corriger les propos d’Erasmus Nerym, il y avait en effet plusieurs points à éclaircir, et Armand était quelque peu au fait des pratiques dynastiques aldarnorines.

— Pardonnez-moi M. Nerym, mais je ne peux que corriger vos propos, car il y a une petite inexactitude. J’ai le mérite, comme M. de Vasarlance, de connaître un peu les règles dynastiques du royaume d’Aldarnor, pour avoir vécu dans ce pays un petit moment… et, sachez qu’en aucun cas Sa Majesté l’Empereur ne pourra prétendre légitimement à la Couronne d’Aldarnor. Le Roi d’Aldarnor a toujours été – et il semble qu’il le sera toujours – l’aîné des descendants mâles par les mâles d’Hugues Guérin. Les femmes n’ont aucun droit sur cette Couronne, et a fortiori ne peuvent transmettre aucun droit sur la Couronne d’Aldarnor ! Sans compter qu’il faut être zorthodoxe pour être Roi d’Aldarnor. Sa Majesté a autant de chance de devenir Roi d’Aldarnor que j’en ai moi-même… sans vouloir être méprisant, Majesté.

Il se tourna vers l’Empereur et fit un sourire, la plaisanterie n’était pas franchement bonne, Armand s’en rendit compte en sortant de sa réflexion… il toussota et fit diversion en prenant un mouchoir dissimulé dans sa manche. Il changea rapidement de sujet en se tournant vers l’Archichancelier :

— M’est avis que vous avez raison : le Roi d’Aldarnor a soigneusement pesé le pour et le contre avant de faire cette proposition. J’ai d’ailleurs ouï dire que le Chancelier d’Aldarnor n’est pas notre premier appui dans cette affaire… Sans parler de la perplexité du Victorin, très zorthodoxe, bien plus que son père.

Le Roi semble cependant décidé, sinon il ne nous aurait pas envoyé La Barre ! Ne croyez pas que la conversion de la princesse Maria-Aurélia devra être légère, « en surface », comme vous le dites. Les Aldarnorins ne sont pas nés de la dernière pluie, ils le verront si la princesse est restée syiste. Mais enfin, les convictions profondes de la princesse ne regardent qu’elle certainement ; même si en Aldarnor, tout ce qui touche la famille royale est public.

Le Grand Maître de l’Empire s’arrêta net et se rassit.

Le prince de Veledris avait trouvé un allié inespéré en la personne de l'Architrésorier, pourtant connu pour être un des hérauts du modérantisme. Mais, nonobstant, comme tous les partisans du régime impérial, il était avant tout soucieux de la survie de la nouvelle monarchie et donc de son indépendance. Or, s'il était évident que la Constitution de l'Empire de Belondor, à l'image de la Charte constitutionnelle d'Aldarnor, avait tout prévu afin qu'il fut impossible aux descendants des femmes de la famille impériale de revendiquer le trône, rien n'empêchait d'imaginer que si, par malheur, la lignée se retrouvait éteinte, il n'y aurait pas un jour un prétendant d'origine étrangère. C'était là-dessus qu'il fallait insister :

- Votre Majesté, votre Altesse, excellences. Son Excellence Monsieur Nerym a soulevé le véritable hiatus de cette alliance. Pouvons-nous prendre le risque qu'un jour un Aldarnorin, zorthodoxe de surcroît, revendique la couronne impériale, arguant du fait qu'il est lié par le sang à celle-ci ? N'oublions pas que nous avons des liens particuliers avec les Aldarnorins et que nous formions autrefois une confédération avec ceux-ci. Ces liens du sang si forts pourraient suffire à notre Peuple, qui sait ? si un jour ce prétendant aldarnorin hypothétique devait faire face à une nouvelle dynastie impériale, même plébiscitée. Espérons alors que le Belondor sera en mesure d'écraser les armées de nos ennemis car, sinon, il en sera fait de notre indépendance ! Quoi qu'il en soit, nous estimons que le mieux serait de consulter mademoiselle notre sœur et d'entre son avis sur une possible union et conversion.

Tous étaient intervenus et, si la majorité se montrait favorable aux deux unions, lesquelles auraient pour conséquence le renforcement du rapprochement belondo-adarnorin débuté par son père Nabelnine I^er, tous n'étaient pas encore convaincus. Certains pour de purs motifs religieux, d'autres pour des raisons de protection de l'indépendance nationale. Alors même qu'un autre intervenant allait répondre à son jeune frère, prince de Veledris, l'Empereur leva à ce moment sa main. Comprenant dès lors qu'il ne fallait pas intervenir, les membres du Conseil privé se turent tous. Nonobstant, Sa Majesté prit assez largement son temps afin de ne sortir un son. Il finit par dire :

- Messieurs, nous vous remercions de vos loyaux avis. Il va de soi que nous les avons écouté avec attention et que nous en tenons compte. Nous tenons à rassurer ceux que notre hypothétique union maritale avec mademoiselle l'infante d'Aldarnor inquiéteraient au regard de l'indépendance nationale et de notre identité culturelle et cultuelle. Le titre I « De la dignité impériale » de notre Constitution aborde la question d'une possible transmission de la couronne par les femmes. Celle-ci est rigoureusement impossible. C'est une tradition belondaure fortement ancrée, que nous vivions sous la royauté ou sous l'Empire. L'article 5 est très sibyllin à ce propos : « La dignité impériale est héréditaire dans la descendance directe, naturelle et légitime de Sa Majesté l'Empereur Nabelnine Ier de Temararien, descendant en ligne directe d'Antonine Ier dit le Grand, le premier Empereur de Belondor, de mâle en mâle, par ordre de primogéniture, et à l'exclusion perpétuelle des femmes et de leur descendance »...

S'arrêtant un instant, Sa Majesté reprit en prononçant distinctement les mots :

- … « À l'exclusion perpétuelle des femmes et de leur descendance »... Nous pensons donc qu'il n'y a guère à avoir d'inquiétudes de ce côté-ci de cette proposition d'union. L'avenir, seul, nous dira si des usurpateurs se feront jour, mais il n'est rien de possible contre les usurpations sinon le rempart de la tradition et de la légitimité.

Les choses mises au clair de ce côté-ci, Nabelnine II joignit ses deux mains :

- Il va de soi que mademoiselle l'infante d'Aldarnor devra épouser notre foi tout comme mademoiselle notre sœur devra embrasser la foi zorthodoxe. Cela fait partie des convenances et la raison d'État exige certains sacrifices qui, nous en sommes sûrs, serons parfaitement compris par les intéressées.

Regardant le valet qui faisait le pied de grue devant la porte close du Conseil privé, Sa Majesté lui fit un signe de la tête. S'inclinant respectueusement, le valet de pied ouvrit la porte, pendant que l'Empereur disait, tendant la main vers celle-ci alors qu'entrait quelqu'un et que toutes les têtes se tournaient vers ce nouvelle venu :

- Mademoiselle notre sœur vous le confirmera par elle-même.

Quelle surprise ! Alors même que l'Empereur était connu pour son rigorisme et son respect des traditions impériale – pour la plupart héritées de la royauté elle-même, il avait convié Maria-Aurélia de Temararien au Conseil privé, non pas comme membre certes, mais afin qu'elle donne son sentiment sur cette union, contre tous les usages, lesquels la participation des femmes au Conseil de l'Empereur.

Maria-Aurélia attendait depuis bientôt une heure dans l’antichambre du salon Hactorel XI. Anxieuse à l’idée de participer à un Conseil privé de l’Empereur – et par la même de s’afficher devant un parterre de personnalités plus importantes les unes que les autres -, la demoiselle s’était faite accompagner de deux de ses servantes. Toutes les trois écoutaient donc les débats animés, se prenant les mains et se serrant dans les bras les unes des autres dès que le ton s’envolait ou qu’il était question de la conversion de la jeune femme à la zorthodoxie.

La Princesse de Belondor était particulièrement sensible aux arguments de son frère jumeau, qu’elle aimait par-dessus, ou du moins le pensait-elle jusqu’à la veille. En effet, c’était au cours de la précédente soirée, peu après le dîner pris par les membres de la famille impériale réunie, que Sa Majesté l’Empereur avait sollicité sa sœur dans sa chambre. Ils avaient longuement discuté mais rien n’avait filtré. La seule trace de cette rencontre fut les yeux rouges de la jeune femme.

Lorsque le valet ouvrit la porte pour l’introduire, la jeune femme se redressa avec une grâce extraordinaire et pénétra dans le salon, en prenant bien soin de saluer l’ensemble des participants d’un signe de tête avant de se courber face à son souverain. Elle portait une robe prune, magnifique et simple à la fois, faite sur-mesure par le couturier en chef des Secrets de Marilia. Peu maquillée mais portant tout de même de sublimes perles aux oreilles, elle était couverte d'un voile ivoire qui cachait sa chevelure ébène. Maria-Aurélia avait elle-même tenu à ne pas trop se distinguer par la forme et faire honneur à cette première infraction aux règles qui régissaient ces Conseils privés depuis des siècles, sinon des millénaires.

Prenant place derrière un pupitre, la princesse baissa un instant le regard, cherchant visiblement ses mots tandis que ses mains s’entrelaçaient au niveau de son bas-ventre. Délicate et délicieuse, elle s’autorisa à prendre la parole, voyant bien là que personne n’osait ouvrir les hostilités.

« Votre Majesté, Messieurs. Notre Empereur m’a invité à ce Conseil privé pour évoquer devant vous mon possible mariage avec le victorin d’Aldarnor. Je le remercie de l’insigne honneur dont il me gratifie en me conviant à un tel entretien et tâcherai de ne pas le décevoir. »

Maria-Aurélia n’avait pas encore eu un regard vers son frère, qu’elle sentait agacé non loin d’elle et qui lui causait une peine infinie. Elle n’avait pas non plus levé les yeux vers Nabelnine, qui trônait fièrement dans son fauteuil, véritable petit coq au milieu de la basse-cour, profitant du spectacle qu’il avait préparé dans les moindres détails. La jeune femme ne pouvait s’empêcher de lire l’agacement ou la pitié de certains illustres membres du Conseil privé.

Les joues légèrement empourprées par la gêne de tant de paires d’yeux rivés sur elles, elle eut enfin un regard pour Amezzianel-Nabelnine. Peur d’être plus confuse qu’elle ne l’était si elle ne poursuivait pas immédiatement, elle déclara en détachant chaque syllabe, comme si elles étaient autant de poignards plantés dans son corps.

« Je ne m’oppose pas à une union avec le victorin d’Aldarnor puisque telle est la volonté de Sa Majesté Impériale. Par conséquent, j’accepte toutes les conditions qu’un tel engagement implique. »

A la vérité, la Princesse ne cherchait pas à être convaincante puisqu’elle-même n’était pas convaincue du tout par un tel mariage qui la forcerait à quitter le Palais Ceronine II et son frère aimé. Mais la raison d’état avait prévalu et Nabelnine ne lui avait guère laissé le choix. Elle était née femme et devait donc se soumettre à la décision de son frère aîné.

Le prince d’Ecosient fut le premier à parler à la suite de Mademoiselle. Le cabinet était cloué, pas un seul grand dignitaire n’osait dire mot. Était-ce parque la princesse impressionnait par sa beauté, ou bien parce que tout le monde voyait son malaise ? François-Antonine l’avait comme tout le monde remarqué : la princesse ne semblait franchement pas convaincue. L’Empereur trônait avec un léger sourire qui était insupportable pour le prince d’Ecosient. Il avait l’air heureux de son petit effet, la pauvre princesse, même si elle était la propre sœur de l’Empereur, n’était entre ses mains qu’un pion.

François-Antonine se tourna légèrement en direction du prince de Veledris : il était manifestement très mal. Ce n’était un secret pour personne, les deux jumeaux étaient très proches, ils avaient pour ainsi dire été élevé ensemble. Le prince d’Ecosient ne doutait pas que Veledris était contre le mariage. Éloigner sa sœur jumelle était une manière d’affaiblir le prince de Veledris aussi, car ce dernier parlait souvent longuement à la princesse, qui, disait-on, avait un sens aigüe de la politique. Si le mariage se faisait, le Victorin d’Aldarnor avait intérêt à avoir un caractère affirmé, sinon, nul doute que la princesse ne mettrait pas longtemps à prendre les rênes du pouvoir.

— Ma chère cousine, je vois avec satisfaction que malgré votre jeune âge, vous avez déjà le sens du devoir, le sens de l’État. Vous ferez, Mademoiselle, une très grande reine d’Aldarnor. La Maison d’Autricum est après tout l’une des plus vieilles de l’Archipel, c’est un parti tout à fait honorable. J’espère cependant que vous croyez profondément en ce mariage.

Le prince n’y croyait pas du tout, d’ailleurs, toute l’assistance lui fit les gros yeux : tout le monde voyait que la princesse n’était pas favorable au mariage. Le prince se souvint alors de feu l’Empereur, et, à sa vision, il ne put s’empêcher de se dire : « ah ! si seulement il était encore en vie ! »…

Enfoncé dans son siège, l'Archichancelier de l'Empire n'arqua pas même un sourcil quand l'Empereur annonça la présence de sa sœur à ce simulacre de Conseil. Et finalement, il avait eu raison de ne rien dire puisque la jeune femme assumait totalement le rôle de future Reine d'Aldarnor. A quoi bon se morfondre sur son sort après tout ? C'était le lot de toutes les princesses que de se voir unir au meilleur parti possible et en l'espèce, c'était au fils de Sa Majesté Vincent II.

Le Prince d'Ecosient avait très bien résumé la situation, elle fera une très grande reine d'Aldarnor et avec un peu de poigne, elle parviendrait sans mal à gouverner en lieu et place de son époux. La Maison d’Autricum, comme toutes les autres Maisons de l'Archipel avait bien dû connaitre dans son histoire pareille situation d'un souverain sans zèle et pouvant s'appuyant sur un fidèle serviteur dont Il l'avait fait du mauvais sexe.

Toutefois, puisque la jeune femme était là les bras ballants, attendant la fin du calvaire, il était peut-être temps pour Etzel de la choyer une dernière fois et de lui laisser le temps de se remettre de ses émotions. Se redressant avec une peine infinie, il prit alors la parole.

" Votre Altesse, je ne puis que vous adresser mes vœux de bonheur puisque la chose semble entendue. Vous verrez, l'Aldarnor est un pays magnifique qui rappelle beaucoup notre Empire. Si vous le souhaitez, je pourrai demander à ma femme de vous brosser un portrait du pays et de ses mœurs puisqu'elle y est née et qu'elle a eu la mauvaise idée de m'épouser là-bas. "

L'Archichancelier se tut sur un sourire attendant de savoir si quelqu'un viendrait raviver les débats après lui.

L'Archichancelier de l'Empire ainsi que le grand-cousin de l'Empereur s'étaient exprimés, ne faisant évidemment que valider le choix de ce dernier pour sa sœur : elle épouserait le Victorin d'Aldarnor. C'était acté. Plus personne ne semblait avoir quelque chose à dire. L'Architrésorier Erasmus Nerym regardait ses mains, tandis que le Connétable de l'Empire semblait on ne peut plus satisfait du dénouement. Mais c'était son frère qui intéressait le plus l'Empereur. Celui-ci était rouge. Rouge de rage et de colère. Assurément, il devait en vouloir à son impérial aîné d'éloigner ainsi sa soeur jumelle qu'il aimait tant – à tel point que, longtemps, Nabelnine II le soupçonna de la désirer de façon impure ? S'il paraissait qu'il n'en était rien, il n'en était pas moins vrai qu'il l'aimait passionnément. Affichant toujours ce léger rictus qui terrorisait tant le personnel du Palais et agaçait tant ceux qui espéraient voir une quelconque humanité en l'Empereur de Belondor, celui-ci dit alors :

- Vous pouvez vous retirer, mademoiselle.

Alors que la princesse était sortie de la salle du Conseil privé, Sa Majesté conclut la séance :

- Messieurs, nous annoncerons sous peu notre intention à Sa Majesté Vincent II d'Aldarnor de voir mademoiselle notre sœur épouser son jeune fils. Sur ce, nous ne vous retenons pas plus longtemps.

La réunion était terminée et, tandis que Sa Majesté sortait du salon Hactorel XI, les grands de l'Empire le saluaient en s'inclinant et échangeaient leur sentiment à propos de ce qui s'était passé.