Séminaire : L'Avenir de l'économie en Belondor

Varsalance n'avait pas connu une telle activité depuis de nombreuses années. Les travaux d'aménagement lancés par la Direction au développement et à la modernisation des Infrastructures et Transports avaient permis d'inaugurer la nouvelle gare de Varsalance après des travaux éclairs, tout comme l'agrandissement du port de l'Agglomération, comptant d'ailleurs un quai servant aux navires de la Marine. Enfin, outre le renouvellement et le prolongement de plusieurs voies ferrées et de routes impériales, le réseau de diligences abreuvait toujours plus rapidement de nombreux ardaniens vers la préfecture de l'île. Dès lors, l'arrivée d'éminents représentants de l'Empire dans le chef-lieu de la Préfecture de Varsalance ne pouvait que bien se dérouler et prouverait que ces travaux, nécessaires, avaient été correctement réalisés et dans les temps !

Initialement, le Séminaire portant sur l'avenir de l'économique au Belondor devait servir de à l'officialisation de l'Union des Modérés et devait ouvrir les campagnes pour les élections sénatoriales. Mais en raison d'intempéries, les voies maritimes avaient dû être coupées durant près de deux semaines, empêchant la bonne tenue de l'événement, d'autant que Varsalance se trouvait plongée sur des trombes d'eau. Ainsi, ce fût le Premier Congrès de l'Union des Modérés au Palais des Congrès d'Origodes qui ouvrir officiellement (puisque c'était son but) la campagne électorale. Au fond, cela importait peu au Duc d'Empire Etzel Calpunien de Varsalance qui profiterait de l'occasion pour trouver des appuis et soutiens nouveaux sur l'île qui l'avait élue sénateur il y a de nombreuses années.

Ce fut sous un soleil de plomb, avec une température de plus de dix degrés par rapport aux normales saisonnières, que le Séminaire s'ouvrit à Varsalance. A la gare tout comme au port ou au pied des gîtes, auberges et hôtels de la ville, des voitures conduisaient les séminaristes vers la Préfecture. Le bâtiment, un héritage bordebon à l'architecture baroque et classique évoquait sans peine les fastes de la royauté alors que se dressait fièrement derrière lui le Palais des Ducs de Varsalance, bijou médiéval de construction militaire. Pour atteindre le plateau haut de deux-cent-cinquante mètres au-dessus du niveau de la mer sur lequel étaient juchés les deux bâtiments - faisant finalement parti que d'un même vaste ensemble - il ne fallait pas moins de vingt minutes aux coches. Depuis plusieurs années déjà, il était question de déplacer une fois pour toute la préfecture plus près du centre-ville, ce qui impliquait de nouveaux travaux que la mairie préférait éviter.


Finalement, seuls manquaient les invités pour pouvoir ouvrir le séminaire, le Duc de Varsalance ayant déjà rejoint les jardins où devait avoir lieu la réception des convives.

Près d'une centaine de personnes avaient répondu à l'appel lancé par l'Archichancelier de l'Empire. Pour une partie, c'était l'occasion de s'approcher du Grand Dignitaire de l'Empire dans un cadre moins formel que celui de l'exercice gouvernemental ; pour autant, il n'en demeurait pas moins que la majorité des invités étaient là pour faire avancer le Belondor et faire en sorte qu'il se bâtisse sur des bases pérennes. Pour autant, Etzel Calpunien avait souhaité que les discussions se déroulent dans un cadre bucolique et avait donc décidé de recevoir dans l'aile du Palais donnant directement vue sur les jardins où un chapiteau avait d'ailleurs été dressé pour les déjeuners.

L'Archichancelier de l'Empire accueillait en personne tous les congressistes et avait toujours un mot personnel pour eux. Il fallait dire qu'il savait recevoir et n'hésitait pas à y mettre de sa personne, surtout depuis qu'il avait perdu près de vingt kilos ! Il avait semblé rajeunir et par la même avait laissé poussé une barbe qui lui allait parfaitement. Sa mutation physique allait de paire avec sa transformation politique ; plus élancé, plus puissant, plus charismatique.

A l'approche de l'Architrésorier Nerym, dont il n'était pas certain que ce dernier ferait le déplacement, il ne put s'empêcher de lever les bras au ciel et d'aller à sa rencontre.

" Excellence Nerym ! C'est un véritable plaisir et avec une joie infinie que je vous remercie d'être venue jusqu'à Varsalance. Avez-vous fait bon voyage depuis Elbêröhnit ? Je suppose que la tranquillité de l'île vous fera le plus grand bien, surtout en cette période particulière pour vous. "

Son sourire délivrait le fond de sa pensée. Effectivement, les Industries Nerym avaient affolé les marchés puisqu'il était question d'une possible vente de la société par son président-fondateur. Bien évidemment, il n'était pas question pour l'Archichancelier de l'Empire de poser directement la question de cette cession à son invité et collègue mais il ne pouvait s'empêcher de lui faire le commentaire.

L'Archichancelier de l'Empire ne voulut pas poursuivre plus ses investigations ; il estimait trop la personne d'Erasmus pour tenter de lui soustraire des informations. L'heure était à l'avenir de l'économie du Belondor et nul doute que si les Industries Nerym étaient effectivement mises en vente, on viendrait à aborder ce point à l'occasion du séminaire. Le Duc de Varsalance tint à rassurer immédiatement son collègue : il n'était pas question que la matinée de travail débute avec du retard. Mais, tout en accompagnant l'Architrésorier, Etzel ne put s'empêcher de commenter l'annonce du Grand Dignitaire.

" L'alignement du sesterce sur l'or est sûrement l'une des plus grandes avancées qu'ait eu à connaître le Belondor ces dernières années. Je suis persuadé que le travail que vous faites conjointement avec le Gouverneur de la Banque impériale et par son intermédiaire, avec le reste de l'institution, déboucha très vite sur des résultats plus que concluants.

Quant à votre proposition de réforme de l'imposition, vous en avez déjà trop dit ou pas assez. Je suis impatient de voir votre idée délivrée devant l'ensemble des conférenciers et nul doute que cela sera un nouveau pas en avant pour l'économie de notre Nation. "

Comme convenu, les invités arrivèrent peu de temps avant que les discussions ne débutent vraiment. Seul Son Excellence Henri-Maxime de Porhoët semblait retenue et arriverait avec un peu de retard. Ainsi, l'ensemble des personnes conviées attendaient sagement dans la salle de réception, chargée de rangées de chaises et de fauteuils. Une immense carte de l'Empire détaillée en ses sept préfectures et agrémentée d'une légende chargée (notamment pour expliquer à quoi correspondaient les sigles présents sur l'ensemble du schéma).

Attendant que tous soient installés, l'Archichancelier de l'Empire prit alors la parole, seul face à l'auditoire.

" Messieurs, je tiens à vous exprimer toute ma gratitude et tous mes remerciements pour avoir fait le déplacement jusqu'à Varsalance à l'occasion de ce séminaire qui, je le sais déjà, sera un tournant pour l'économie de notre pays. Au cours de ces quatre jours à venir, nous allons avoir à traiter un certain nombre de sujets dont quatre points essentiels de mon point de vue : la fiscalité belondaure face aux exigences des entreprises de demain ; la spéculation boursière et l'ouverture des marchés aux capitaux étrangers ; les réformes sociales et leur impact sur la vie courante ; le développement de l'économie réelle et des échanges agricoles et de consommation.

Avant d'aller plus loin, je tiens à faire un aparté. Il peut sembler surprenant que je sois à l'origine de ce séminaire qui aurait pu ou dû mieux convenir à Leur Excellence l'Architrésorier de l'Empire ou le Gouverneur de la Banque impériale. Pour être tout à fait franc avec vous, ce séminaire n'est en aucun cas le fruit d'un projet gouvernemental mais résulte d'une initiative privée de ma part.
J'ai pris la liberté de vous convoquer ici-même, à Varsalance, pour évoquer des sujets hautement politiques, bien qu'économiques. J'en ai d'ailleurs pour preuve le fait que les quatre thématiques que j'ai énoncé plus tôt, ont été au coeur des discussions du Premier Congrès de l'Union des Modérés qui a s'est tenu à Origodes la semaine dernière.

Quoi qu'il en soit, nous avons aujourd'hui la chance de disposer des personnalités les plus éminentes sur la matière. Je remercie une fois encore Son Excellence Erasmus Nerym pour sa présence et ne manquerai pas de faire de même pour Son Excellence Henri-Maxime de Porhoët qui devrait être parmi nous d'ici peu.

En tout état de cause, j'aimerais que nous entamions aujourd'hui la discussion sur la fiscalité du pays. Monsieur le directeur du Trésor Public qui nous a fait l'amitié de venir pourra notamment intervenir sur ce point mais je ne doute pas que des chefs d'entreprise trouveront l'occasion de faire partager leur vécu sur ce point. La question que je vous pose est la suivante : selon vous, la fiscalité belondaure répond-elle aux exigences de entreprises de notre pays ?

De nombreuses pistes ont été ouvertes, parfois explorées plus avant mais aujourd'hui le Code des Finances Publiques ne semble plus répondre à l'évolution du monde des entreprises. Je cède donc la parole à la première personne qui souhaitera la prendre. "

Se taisant soudainement, l'Archichancelier de l'Empire scruta la salle cherchant du regard un possible intervenant.

Les débats avaient commencé, partant dans tous les sens, sans véritable ligne directrice. Or, parmi les gens présents à ce séminaire, il y avait des haut fonctionnaires en sus d'entrepreneurs, universitaires et autres notables de la haute société belondaure. Louison d'Arville, contrôleur général des impôts, faisait partie des gens hautement qualifiés pour parler de la fiscalité belondaure. C'est pourquoi il finit par prendre la parole :

- Messieurs, messieurs ! Ne partons pas dans tous les sens ! Je tiens tout d'abord à remercier Son Excellence l'Archichancelier de l'Empire pour avoir organisé ce séminaire. J'espère, et je suis certain que je ne suis pas le seul, qu'il s'avèrera l'aube d'une nouvelle ère de réformes. Que dire de notre système fiscal ? Celui-ci n'a guère changé depuis que Sa Majesté Nabelnine I^er adopta un Code des finances publiques à son arrivée au pouvoir. Or, il apparaît clairement que celui-ci n'a pas été conçu afin de favoriser l'activité économique mais pour permettre à l'État d'obtenir des recettes rapidement, suite à la Guerre Civile qui s'était avérée désastreuse pour les finances.

Plusieurs de ses collègues du ministère du Trésor firent un hochement de tête en signe d'approbation. Il continua :

- En vérité, existe-t-il une fiscalité précise frappant uniquement les entreprises et leurs bénéfices ? Hormis la patente, basée avant toute chose sur l'outillage – ce que l'on nomme « fiscalité réelle » – et non sur la productivité, il est possible de dire que non ou presque. Pas même les droits de douanes qui sont dûs par tout importateur, personne morale ou physique. Dès lors, il apparaît logique qu'ils frappent avant tout les entreprises importatrices. Certes, ceux-ci sont actuellement élevés et engendrent un renchérissement du prix des produits de 40 à 50% selon les matières.

S'arrêtant un instant, il pesa ses mots et poursuivit :

- Actuellement, la fiscalité ne frappe les entreprises que comme personne morale et consommateur, non pas comme entreprise en tant que telle. Les impôts directs que sont la contribution foncière, la contribution mobilière et l'impôt sur les portes et les fenêtres sont dus par toute personne physique ou morale – notons que la contribution des rentes ne frappe que les particuliers et ne peut donc toucher que les entrepreneurs, pas les entreprises en tant que telle. D'ailleurs, les barrières de l'octroi à l'entrée des grandes villes, sorte de droits de douanes intérieurs, ont été supprimées fluidifiant le commerce, à l'occasion du Code d'administration qui supprime tous les impôts locaux.

Après cet éclaircissement, il poursuivit :

- Quant aux impôts indirects, c'est-à-dire les redevances dues en échange de l'usage d'un service public et les impôts de consommation – droits ordinaires (sur tous les produits non soumis à une taxe spécifique), droits d'enregistrement (pour les mutations de biens meubles et immeubles), droits de timbre, taxe sur le sucre, taxe sur le tabac, taxes sur le chocolat, taxe sur le café, taxe sur le sel, taxe sur les alcools forts, taxe sur les vins, taxe sur les huiles, taxe sur les allumettes, taxe sur les papiers, taxe sur les bougies et enfin taxe sur les poissons et viandes – eh bien ces impôts indirects sont dûs par tout consommateur en toute logique. Par ailleurs, l'édit sur les caisses d'assurances sociales a rendu possible pour certaines entreprises – celles des mines, de l'industrie et de l'agriculture – une cotisation forfaite fonction du salaire de leurs employés afin de financer celles-ci, mais ne rend pas celle-ci obligatoire, alors que les salariés doivent cotiser pour s'ouvrir des droits à bénéficier du système de retraite et d'assistance sociale.

Concluant, il dit :

- Au final, sans compter les redevances, le Belondor compte 22 impôts et seule la patente parmi ceux-ci ne touche que les entreprises spécifiquement. Pensons bien que celle-ci ne rapporta qu'un revenu de 168 millions de sesterces en 2714. Par comparaison, les droits de douanes nous rapportèrent 867 millions de sesterces, les autres impôts directs 1 milliard 341 millions et les impôts indirects – redevances et impôts de consommation confondus – 4 milliards 989 millions. Au final, la patente ne représenta que 2,28 % des 7 milliards 365 millions de sesterces des recettes de l'État (le revenu national étant estimé à un peu moins de 50 milliards de sesterces). Je n'ai volontairement pas compté les cotisations des affiliés aux caisses d'assurances sociales, celles-ci étant gérés par les professionnels eux-mêmes.

Il rajouta un dernier mot :

- Il m'apparaissait important de poser le contexte, et j'espère bien avoir pu y contribuer par cet exposé de la situation.