Session d'étude de la proposition d'adresse à Sa Majesté l'Empereur

Bien que profondément attaché aux prérogatives impériales, les membres du Rassemblement conservateur s'étaient les premiers inquiétés des accords d'Elbêröhnit entre l'Empire et la Semi-République du Crasselande, craignant d'y voir un renoncement du Belondor à sa souveraineté et à ses terres inaliénables au nom de la paix, chose d'autant plus étrange que, si l'Empereur Nabelnine II faisait profession de foi de la paix, il n'avait jamais hésité à faire usage de la force ou de la menace de l'utilisation de celle-ci pour défendre les intérêts de la nation belondaure. C'est dans cet esprit qu'une adresse à Sa Majesté impériale, droit garanti par la Constitution et qui ne nécessitait pas de passer par le bureau du président, fut rédigée et présentée aux sénateurs. Obtenant la parole, le président par intérim – pendant la convalescence d'Archibald de La Villejégu – Destunin de Tracy commença :

- Excellence Grand Maître de l'Empire, président in officio du Sénat, excellences les grands dignitaires, messieurs les ministres, messieurs les sénateurs. SI je me présente aujourd'hui devant vous, soutenu par l'ensemble des sénateurs du Rassemblement conservateur, et d'autres encore, je n'en doute pas, c'est pour vous faire part d'une inquiétude. Cette inquiétude, c'est que Sa Majesté l'Empereur, croyant sincèrement agir pour le mieux bien entendu, mais sans doute dupée par des conseillers, certainement aveugles au désastre, ait mis en péril l'intégrité, la souveraineté, l'unité et l'indivisibilité de notre Très Grande Nation. En tant que sénateurs, nous avons le devoir de veiller au respect de l'article 38 de notre Constitution, à savoir que le Sénat est le gardien de la Constitution, des textes fondamentaux de l'Empire et des libertés publiques et qu'il peut s'opposer à toute disposition anticonstitutionnelle ou qui pourrait mettre en danger la défense du territoire, l'intégrité de l'Empire, les droits fondamentaux et les libertés publiques. Or, je crains fort que nous soyons dans une telle situation avec les accords d'Elbêröhnit de Nonus dernier passés entre l'Empire et le Crasselande, et tous les sénateurs conservateurs sont d'accord avec moi. C'est la raison pour laquelle nous vous présentons cette adresse à Sa Majesté impériale, suivant les dispositions de l'article 42 de la Constitution. Nous demandons à tous les sénateurs de nous suivre dans notre démarche qui n'est en rien une attitude de défiance envers Sa Majesté et le gouvernement, mais simplement l'expression de nos inquiétudes légitimes et fondées.

On avait distribué le texte de l'adresse :

Citation :

Votre Majesté impériale et Très-Syiste,

C’est avec une vive reconnaissance que vos fidèles sujets les sénateurs, réunis, autour de votre trône, ont entendu de votre bouche auguste le témoignage flatteur de la confiance que vous leur avez accordé à l'ouverture de notre XII^e législature. Heureux de vous inspirer ce sentiment, Sire, ils le justifient par l’inviolable fidélité dont ils viennent vous renouveler le respectueux hommage par cette présente adresse ; ils sauront le justifier encore par le loyal accomplissement de leurs devoirs.

Accourus à votre voix de tous les points de votre Empire, nous vous apportons de toutes parts, Sire, l’hommage d’un peuple fidèle, encore ému de vous avoir vu le plus bienfaisant de tous au milieu de la bienfaisance universelle, et qui révère en vous le modèle accompli des plus touchantes vertus. Sire, ce peuple chérit et respecte votre autorité ; plus de cinq ans de paix et de liberté qu’il doit à votre auguste père et à vous ont profondément enraciné dans son cœur la reconnaissance qui l’attache à votre impériale famille ; sa raison mûrie par l’expérience et par la liberté des discussions, lui dit que c’est surtout en matière d’autorité que l’antiquité de la possession est le plus saint de tous les titres, et que c’est pour son bonheur autant que pour votre gloire que les siècles ont placé votre trône dans une région inaccessible aux orages. Sa conviction s’accorde donc avec son devoir pour lui présenter les droits sacrés de votre Couronne comme la plus sûre garantie de ses libertés, et l’intégrité de vos prérogatives, comme nécessaires à la conservation de ses droits.

Cependant, Sire, au milieu des sentiments unanimes de respect et d'affection dont votre peuple vous entoure, il se manifeste dans les esprits une vive inquiétude qui trouble la sécurité dont l'Empire avait commencé à jouir, altère les sources de sa prospérité, et pourrait, si elle se prolongeait, devenir funeste à son repos. Notre conscience, notre honneur, la fidélité que nous vous avons jurée, et que nous vous garderons toujours, nous imposent le devoir de vous en dévoiler la cause.

Sire, la Constitution que nous devons à votre auguste prédécesseur, et dont Votre Majesté a la ferme résolution de consolider le bienfait, consacre, comme un droit, l'intervention du pays dans la délibération des intérêts publics. Cette intervention devait être, elle est en effet indirecte, largement mesurée, circonscrite dans des limites exactement tracées, et que nous ne souffrirons jamais que l'on ose tenter de franchir ; mais elle est positive dans son résultat, car elle fait du concours permanent des vues politiques de votre gouvernement avec les vœux de votre peuple la condition indispensable de la marche régulière des affaires publiques.

Sire, notre loyauté, notre dévouement, nous condamnent à vous dire qu'une grande inquiétude s'est faite jour au sein de votre peuple à propos de ce que l'on a pris l'habitude de nommer les « accords d'Elbêröhnit », passés entre vous-mêmes et le président de la Semi-République du Crasselande. Instruits par les leçons de l'histoire, notre peuple sait qu'il n'est possible d'accorder une confiance réelle en la parole des Crasselandais, à l'esprit de négoce tortueux et qui ne connaissent le sens de l'honneur comme c'est le cas de votre noble peuple supérieur.

C'est pourquoi, Votre Majesté impériale et Très-Syiste, les Belondaures vous réclament, par l'intermédiaire de leurs sénateurs, le droit de pouvoir examiner le traité qui ressortira de ces accords afin de s'assurer qu'il n'en ira en rien de contraire envers les intérêts supérieurs de l'Empire que vous avez à cœur de servir et de défendre. Nous sommes voués à être votre concours aussi longtemps que vous, Sire, ou que votre peuple nous en jugeront digne.

Soyez assurés Votre Majesté impériale et Très-Syiste de l'affection de tous vos fidèles et loyaux sujets et de leur plein et entier dévouement.

L'Archichancelier avait déjà sa position quant aux finalités du Traité d'Elbêröhnit signé entre le Belondor et le Crasselande. Pour autant, il lui semblait important de pouvoir offrir aux sénateurs le moyen de faire valoir leur poids politique.

" Monsieur le sénateur de Tracy, l'Union des modérés vous soutient dans votre adresse à Sa Majesté l'Empereur. "

Le sénateur Verrines d'Hersant n'en revenait toujours pas. Le Rassemblement conservateur, cette formation politique qui se piquait d'être la plus fidèle à l'Empereur et de vouloir respecter ses prérogatives, avait tenu sa promesse : il présentait une adresse qui était la plus grande tentative de prise de pouvoir du Sénat depuis la Fronde d'Elbêröhnit ! Dans tous les cas, le sénateur était d'accord avec la proposition du sénateur Destunin de Tracy et les deux sénateurs progressistes décidèrent donc de soutenir celle-ci :

- Le groupe progressiste décide de soutenir cette proposition d'adresse à Sa Majesté l'Empereur.

Les ultras étaient dans une position indélicate. En effet, ceux-ci souhaitaient que le régime s'oriente vers plus d'absolutisme, mais en même temps ils étaient foncièrement opposés à ces accords, partisans de la manière forte avec les Crasselandais, tout autant qu'ils étaient hostiles aux Zollernois et Edoranais qu'ils soupçonnaient de vouloir faire de l'ombre aux Belondaures. Mais Louis de La Bouillardère prit la parole :

- Les ultras soutiennent cette adresse.

Coup de tonnerre ! C'est tout le Sénat qui se ralliait à l'adresse, y compris les grands dignitaires de l'Empire... qu'allait décider l'Empereur ?

Le Grand Maître prit la parole :

- La proposition d'adresse à Sa Majesté l'Empereur est donc adoptée à l'unanimité. En tant que président in officio du Sénat en l'absence de Sa Majesté impériale, je me chargerai de la lui transmettre.

Un grand tumulte apparut. Tout le Sénat applaudissait. L'Empereur allait-il donner gain de cause à l'ensemble des sénateurs, qu'ils soient nommés ou élus ?

Deux jours plus tard, les sénateurs étaient de nouveau réunis sous la présidence du Grand Maître de l'Empire, le duc d'Albes Armand de La Croix, également comte de Salignac. Ceux-ci avaient été convoqués et tous étaient présents, afin d'écouter la réponse de l'Empereur à l'adresse du Sénat au souverain :

- Messieurs les sénateurs, excellences les grands dignitaire de l'Empire. Je vais vous lire aujourd'hui la réponse de Sa Majesté l'Empereur à votre adresse. Je vous prie donc de garder le silence pendant sa lecture et de vous lever.

Tous les sénateurs se levèrent et le grand dignitaire commença la lecture :

Citation :

Messieurs les sénateurs,

Nous avons lu et pris bonne note de l’adresse que son excellence le Grand Maître de l'Empire nous a présenté au nom du Sénat tout entier. Nous avons toujours eu à cœur de défendre les intérêts, la souveraineté et l'intégrité de l'Empire et, en tant que tel, nous avions droit de compter sur le plein et entier du Sénat à cette politique ; notre cœur s’afflige de voir les sénateurs déclarer que ce concours ne nous est pas automatiquement acquis et qu'ils craignent que nous en venions à négliger nos devoirs et notre serment.

Les terres que l'Empire de Belondor cède à la Semi-République du Crasselande sont des terres qui ont été conquises par le Grand-duché d'Hollyade alors que le Crasselande étaient dans une crise profonde le plongeant jusqu'à l'anarchie. De fait, sans cette annexion opportuniste et illégitime de terres crasselandaises par l'ancien État hollyadien, il n'eut jamais de litiges territoriaux entre notre État et celui de nos plus proches voisins orientaux. Partant, pour préserver la paix, considérant que nous sommes légitimes à occuper les territoires tombés en anarchie sur nos frontières est et qui nous causent tant de maux, et que la Semi-République du Crasselande ne s'opposera pas à ce que nous réintégrions par la force la fausse principauté sécessionniste de Sorabe, il nous est apparu convenable et conforme aux intérêts de l'Empire de rétrocéder le territoire dit de Crassenheim en échange de tous ces gains territoriaux et politiques.

Messieurs, nous vous avons fait l'honneur d'ouvrir votre XII^e législature il y a de cela plus d'une demi année. Nous y avions annoncé nos résolutions. Celles-ci nous apparaissent comme immuables, l’intérêt de notre peuple nous défendant de nous en écarter. Les membres de notre gouvernement vous ferons connaître nos intentions, auxquelles nous vous conseillons de vous conformer au nom de l'intérêt supérieur de l'État et de l'Empire.

Les sénateurs progressistes étaient ulcérés par la réponse de l'Empereur à l'adresse et ils n'étaient visiblement pas les seuls. Nombre de sénateurs semblaient bouillonner et une sorte de bourdonnement envahit l'hémicycle, les sénateurs commentant entre eux cette réponse impériale. Le sénateur Verrines d'Hersant prit la parole le premier sans qu'on la lui ait accordé. Lorsqu'il prononça ses premier mots, toutes les têtes se tournèrent vers lui :

- Cette réponse de Sa Majesté est presque insulte... l'Empereur nous traite comme des enfants ! Nous ne sommes pas des enfants ! Nous sommes la représentation nationale ! Nul n'est plus légitime que nous pour déterminer si oui ou non les intérêts de l'Empire ont été ou non bafoués. La réponse de Sa Majesté n'est pas la bonne.

Le propos du sénateur ne laissait pas insensible nombre de sénateurs, mais sa virulence faisait hésiter nombre d'entre eux à le soutenir. On avait encore en mémoire comment s'était déclenché la Fronde d'Elbêröhnit...

L'Archichancelier et Grand Électeur de l'Empire était des plus satisfaits. La réponse impériale, qui n'était que la mise sur papier d'un échange privé entre l'Empereur avec le duc de Varsalance, trouvait une réponse attendue dans les rangs des sénateurs.

Avec flegme, le grand dignitaire fit remarquer aux sénateurs l'entourant :

" Sa Majesté impériale a parlé. Les intérêts de l'Empire seront protégés et nous aurons toute latitude pour revendiquer l'île de Sorabe. Par ailleurs, outre la perte de Crassenheim qui ne produisait rien, nous gagnons tout un territoire riche en matières premières. "

Le sénateur Destunin de Tracy était à l'origine de cette proposition d'adresse. Chef de file des conservateurs au Sénat, nombre de ses collègues venaient le voir afin de savoir quelle était l'attitude à adopter pour leur formation. Certaines prônaient l'affrontement, au risque de voir le Rasscon rompre avec ce qui étaient ses fondamentaux, à savoir la loyauté envers l'Empereur et le service de l'Empire. D'autres prônaient la soumission, en tirant un trait définitif sur cet adresse et ses revendications. Se levant, Destunin prit donc la parole :

- Excellences les grands dignitaires, messieurs, hurla-t-il pour couvrir le brouhaha. Sa Majesté s'est exprimé en des termes très clairs qui doivent tous nous rassurer. Il était une évidence que notre Empereur ne pouvait qu'avoir pris en compte les intérêts de l'Empire. Nous sommes donc par conséquents satisfaits de sa réponse.

Du moins était-ce ce qu'il voulait que l'on pense...